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Le discours de Saad Hariri: amalgames et contre-vérités

Le discours de Saad Hariri: amalgames et contre-vérités
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Samer R. Zoughaib

Après avoir abandonné sur le bord du chemin ses alliés chrétiens dans le dossier de la loi électorale, ignoré leurs appels du pied et critiqué leur choix de soutenir le projet orthodoxe, le chef du Courant du futur, l'ancien Premier ministre Saad Hariri, a désespérément tenté de ressouder les rangs du 14-Mars, lors de la commémoration du 14-février, au Biel. Un événement boudé par Amine Gemayel et Samir Geagea, officiellement pour des "raisons de sécurité", mais en réalité à cause du fossé de plus en plus profond qui les sépare de leur partenaire.

Saad Hariri a donc essayé d'insuffler une bouffée d'oxygène dans le 14-Mars en construisant son discours autour de l'"ennemi commun", le Hezbollah, en espérant par ce procédé parvenir à atténuer les divergences et combler le fossé. Mais c'était peine perdu, car son allocution n'était qu'une compilation d'anciennes déclarations (les siennes et celles des députés de son bloc) qui ont apporté des semblants de réponses simples et simplistes à une situation complexe, sans aborder les véritables problèmes auquel le Liban est confronté en cette période de troubles et d'instabilité. Une déconstruction de son discours montre qu'il est bâti sur une succession d'amalgames et de contre-vérités, incapables de convaincre n'importe quel Libanais disposant d'un bon sens.

D'emblée, l'ancien Premier ministre accuse ses adversaires d'avoir essayé d'"éliminer le 14-Mars par tous les moyens: la politique, le terrorisme, le meurtre, l’argent et les armes." Un rapide retour en arrière montre que toutes les lois électorales votées au Liban entre 1992 et 2009 ont été confectionnées sur mesure (au niveau du mode de scrutin, du nombre et du découpage des circonscriptions) pour permettre au Courant du futur de se tailler la part de lion. Accuser ses ennemis d'user de l'argent est une plaisanterie de mauvais goût, qui ne fait rire aucun Libanais. Car tout le monde sait que l'achat des voix et des consciences est une spécialité brevetée du Courant du futur, qui a introduit le poison de l'argent dans la vie politique, médiatique, culturelle et économique libanaise à une échelle sans précédent depuis l'indépendance.

L'appropriation des martyrs

Les accusations de "terrorisme et de meurtre" sont devenues un refrain utilisé avec redondance depuis 2005 pour ternir l'image de l'adversaire, le diaboliser et se présenter en victime perpétuelle. Cependant, de tous les crimes perpétrés au Liban depuis 2005, aucun n'a été résolu et aucun coupable n'a été arrêté, jugé et condamné. Certes, les assassinats commis ces huit dernières années ont touché des personnalités du 14-Mars, mais pas seulement. Parmi les martyrs qu'il s'est approprié, certains n'ont rien à voir cette coalition, alors que d'autres sont carrément oubliés: Georges Hawi, le général François el-Hage, le chef militaire de la Résistance Imad Moughnieh, le cadre du Parti démocratique libanais, Saleh Aridi, les frères Majzoub du Jihad islamique etc...

Le comble est d'accuser le Hezbollah, sans le nommer directement, d'avoir eu recours aux armes pour éliminer ses adversaires. La Résistance dispose d'armes depuis 30 ans et personne ne s'en est jamais plaint. Bien au contraire, elle était glorifiée et couverte d'éloges pour ses victoires face à l'occupant. En réalité, c'est le 14-Mars qui a fait appel à "Israël" pour éliminer la Résistance en juillet 2006, lors d'une guerre qui avait été préparée quatre mois plus tôt, selon les révélations israéliennes.

Un peu plus loin dans son discours, Saad Hariri "renouvelle l’engagement à rester attaché à la voie de la modération nationale et faire l’impossible afin de protéger l’unité du Liban et la coexistence entre tous ses fils." La vérité est toute autre. Les députés de son parti, Khaled Daher, Mouïn Merhebi, Mohammad Kabbara, voire Fouad Siniora, se sont employés ces dernières années à développer un discours à fortes connotations confessionnelles, qui a eu pour conséquences de chauffer les esprits et d'exacerber les tensions sectaires. Le Courant du futur protège et coach des groupes extrémistes libanais, syriens et palestiniens affiliés à Al-Qaïda. Bahia Hariri n'avait-elle pas avoué financer le groupe extrémistes Jund el-Cham, à Saïda? Le Courant du futur ne couvre-t-il pas, aujourd'hui, les assassins des soldats libanais à Ersal?  

Et M. Hariri de poursuivre: "(...) Il y a aujourd’hui ceux qui sont attirés par le jeu consistant à baisser le drapeau libanais et soulever à nouveau les drapeaux des communautés. Mais le drapeau du Liban restera toujours le plus haut et le Liban restera au-dessus de tous." L'ancien Premier ministre pense que les Libanais ont la mémoire courte. Mais ils n'ont pas oublié les images de l'assaut de ses partisans contre le Grand Sérail, le 21 octobre 2012, lorsque les manifestants brandissaient, pêle-mêle, les drapeau de l'Armée syrienne libre, de l'Arabie saoudite et l'étendard d'Al-Qaïda. Où étaient-ils les drapeaux libanais ce jour-là?

Neutralité avec "Israël", parti pris en Syrie

M. Hariri évoque, à plusieurs reprises, "la neutralité du Liban dans le préambule de la Constitution". Il est clair qu'il prône la neutralité dans le conflit avec "Israël", dans lequel il ne s'est d'ailleurs jamais engagé, comme si le Liban n'était pas concerné par l'occupation de sa terre. En revanche, en Syrie, il prend ouvertement partie pour les rebelles qu'il soutient à tous les plans, et ne rate pas une occasion de critiquer la politique de distanciation du gouvernement libanais.

Et l'ancien Premier ministre de poursuivre: "Le problème des armes au Liban, des armes illégales, avec toutes ses fonctions régionales et internes, sectaires, familiales, jihadistes, est la mère des problèmes." D'abord, M. Hariri se livre à un dangereux amalgame entre les armes de la Résistance, qui ont libéré la terre et protègent le pays, et les armes du désordre et de la discorde, qui mettent à feu et à sang Tripoli et s'en prennent à l'armée. Ensuite, il qualifie d'"illégales les armes de la Résistance", alors qu'elles sont parfaitement légales. La résistance contre l'occupation israélienne est prévue par l'accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre civile. De plus, toutes les déclarations ministérielles depuis 1992, y compris celles des trois gouvernements que Fouad Siniora et lui-même ont présidé, entre 2005 et 2011, évoquent noir sur blanc la formule Peuple-Armée-Résistance, qui, à ce que l'on sache, n'a pas été abolie ou abandonnée. Si M. Hariri ne veut plus de cette formule, c'est lui qui se place en dehors de la légalité et non pas la Résistance.

"Tous les Libanais savent que le Hezbollah possède un arsenal d’armes lourdes, de missiles et d’armes légères, qui, dit-on, est plus important que celui de l’État libanais", dit-il. Effectivement, un arsenal qui a instauré un équilibre dissuasif avec "Israël", de l'aveu même des responsables israéliens, le dernier en date étant Moshé Yaalon. Le vice-Premier ministre israélien vient de reconnaître, mercredi, que le Hezbollah peut atteindre n'importe quel point en "Israël".
Au lieu de s'en plaindre, Saad Hariri devrait en être fier!

Source : moqawama.org

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