«Israël»: D’un projet colonial à une assise géopolitique pour l’Occident

Par Dr. Ahmad Yassine
Il ne fait aucun doute que ce qui se passe à Soueida et dans le sud de la Syrie n'est pas simplement une déflagration confessionnelle passagère ou un trouble sécuritaire local, mais plutôt l'expression d'un dessein géopolitique plus ample.
Ce projet est dirigé par les États-Unis et le système occidental, avec «Israël» comme instrument central, visant à redéfinir la structure géographique, politique et culturelle de l'Asie de l'Ouest de manière à renforcer l'hégémonie de l’entité sioniste et à démanteler les fondations de la puissance de ses adversaires.
En effet, depuis la création de l'entité «israélienne», celle-ci n'a pas été présentée à la région uniquement comme un «État juif», mais comme une fonction géopolitique et un outil de contrôle régional visant à empêcher la formation de regroupements nationaux-souverainistes et à garantir les intérêts occidentaux au cœur du monde ancien.
Avec le changement des contextes internationaux depuis la fin de la guerre froide et la montée de puissances locales de nature régionale, comme l'Iran, ainsi que les tentatives de la Chine d'étendre son influence via l'initiative «Belt and Road», (l'initiative la Ceinture et la Route), le rôle «israélien» est devenu plus visible.
«Israël» est considéré comme un pilier central de l'hégémonie occidentale en Asie de l'Ouest, doté d'une capacité militaire, technologique et de renseignement qui dépasse sa taille démographique et géographique.
Cette vision suppose – voire exige – qu'il n'existe aucun État ou système politique dans la région capable de défier «Israël», que ce soit militairement, politiquement ou même en tant que puissance économique capable d'indépendance et de réalisation d'une certaine forme de souveraineté.
Pour imposer «Israël» comme un acteur hégémonique incontesté dans la région, le projet américano-«israélien» nécessite une série d'outils et d'objectifs enchevêtrés, commençant par l'expansion géographique de l'entité «israélienne». Le projet débute par la consécration de l'occupation du Golan comme une réalité reconnue internationalement. Ensuite, il s'agit d'étendre le contrôle vers Soueida et Qoneitra, en profitant du chaos et des divisions, avec éventuellement la transformation du sud syrien en une zone sécurisée avec une façade druze autonome sous protection «israélienne».
Il est aussi question de créer une bande géographique séparant la Syrie de l'Irak, coupant ainsi la voie de l’axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth pour isoler les fronts de Résistance les uns des autres.
De plus, il s'agit de neutraliser la Syrie, tant sur le plan historique que géographique, en la transformant en un État divisé sur des bases religieuses, confessionnelles et ethniques, non fonctionnel et en conflit, ce qui affaiblirait l'État syrien en tant qu'entité centrale unifiée.
L'objectif est également d'étouffer le Liban économiquement et en matière de sécurité, tout en continuant à affaiblir le Hezbollah et à le bloquer, avec la perspective de s'étendre vers le sud du Liban pour imposer une zone tampon. Parallèlement, le projet avance dans l'isolement de Gaza et sa subordination par le biais du blocus et du chantage humanitaire, poursuivant les agressions et l'extermination visant à provoquer un déplacement forcé et à anéantir les conditions de vie dans le secteur.
Le projet se poursuit également en incitant à des confrontations internes en Irak, visant à affaiblir l'influence des forces de mobilisation populaire (Hached el-Chaabi), ce que les États-Unis tentent de réaliser en exerçant des pressions sur le gouvernement irakien et les composantes politiques pour désarmer ces groupes et les dissoudre en tant que force militaire. Cela inclut les récentes opérations de sécurité menées par des acteurs inconnus, ciblant des sites militaires dispersés en Irak au cours des dernières semaines.
Le projet américain vise également à affaiblir l'Iran non seulement en détruisant ses infrastructures nucléaires et militaires, mais aussi en épuisant son économie et en allumant des fronts multiples pour l'occuper tant intérieurement qu'extérieurement. L'objectif est d'empêcher l'Iran de maintenir des lignes d'approvisionnement terrestres et maritimes vers la Méditerranée.
La guerre récente contre l'Iran n'est qu'un épisode d'une série qui n'est pas encore terminée, dans la tentative de l'Occident d'affaiblir le régime et l'État, lorsque le changement de régime en Iran s'est avéré impossible. Cela vise à en faire un État «politique» en échec, incapable de faire face et de résister, un défi que l'Iran a remarquablement réussi à surmonter malgré plus de quatre décennies de pressions.
Mais quelle est la toile de fond géopolitique plus large de ce projet, et pourquoi maintenant ?
Le projet américain-occidental s'accélère dans le contexte d'un retrait militaire direct marqué des États-Unis, tout en maintenant leur contrôle via des agents, principalement «Israël», de manière active sur les plans militaire et sécuritaire. La crainte des puissances occidentales face à la montée des forces asiatiques, principalement la Russie et la Chine, ainsi que l'Iran par la suite, crée des axes et des regroupements économiques et des alliances alternatives, affaiblissant ainsi l'hégémonie occidentale et son système économique et politique en Orient.
De plus, la prise de conscience à Washington que la fenêtre de surpuissance américaine pourrait se fermer avec le temps, si les forces de résistance continuent à renforcer leurs capacités et à bâtir des tentatives d'indépendance économique malgré le blocus, a conduit à une accélération inattendue de l'exécution du projet, utilisant tous les moyens, en particulier la force militaire à son maximum et en montrant l’apogée de la brutalité occidentale contre les peuples et les États de la région.
Ainsi, il semble que la configuration géopolitique actuelle ne soit pas seulement une guerre contre l'Iran, la Syrie ou le Hezbollah ; c'est une guerre préventive contre les alternatives civilisationnelles et géopolitiques qui pourraient menacer de manière significative le système international unipolaire, rendant difficile un retour décisif en arrière.
Malgré l’audace du projet américano-occidental et la diversité de ses outils, celui-ci fait face à des obstacles structurels qui pourraient entraver son succès. Ces défis pourraient constituer un coup dur pour le système occidental, l'enfonçant dans un marécage d'épuisement prolongé, susceptible de transformer le conflit en une lutte mondiale brutale pour éviter l'effondrement total de ce système.
Le maintien d'un sentiment national et patriotique largement répandu dans les sociétés arabes, qui refuse la fragmentation et la dépendance, crée des résistances populaires sous la pression de la défense de l'existence et de la survie des peuples de la région, en particulier des minorités religieuses.
De plus, la capacité limitée d'«Israël» à occuper de vastes espaces et à les défendre sur le long terme représente un facteur significatif. Bien qu'«Israël» puisse mener des destructions violentes et brutales, et peut-être occuper de grandes étendues de terres arabes, il ne peut pas établir un contrôle durable sur ces territoires, surtout en présence de résistances populaires dans les zones occupées, ce qui entraînerait l'armée «israélienne» dans un conflit d'usure à long terme, mettant en péril sa survie. Cela a été démontré dans de nombreux exemples historiques, notamment l'occupation du sud du Liban, malgré sa taille réduite.
La dynamique des forces de résistance, qui ont prouvé leur capacité à répondre de manière innovante même dans les circonstances les plus difficiles, est un facteur essentiel face à ces développements.
Bien que ces forces aient, à ce moment historique où l'Occident montre son summum de brutalité, pris la décision de se calmer et de plier sous la tempête, cette décision ne pourra pas durer éternellement.
De plus, de nombreux facteurs internationaux compliquent la situation, notamment la difficulté de fournir un soutien international à long terme pour des changements territoriaux forcés résultant de conflits spécifiques et de désirs personnels de gains rapides, ce qui rend leur institutionnalisation à long terme difficile.
En résumé, ce qui se passe à Soueida aujourd'hui n'est pas simplement un théâtre de conflit local, mais le sommet de l'iceberg d'un projet stratégique occidental plus large, visant à faire d'«Israël» l'acteur régional central, à travers une ingénierie politique, démographique et géographique de la région qui vise à consacrer la dépendance des États du voisinage et à démanteler leur unité.
Cependant, le succès de ce projet n'est pas garanti, car il se heurte à des obstacles fondamentaux, tels que la volonté populaire, la résistance géopolitique et les capacités de dissuasion des forces de Résistance. Tous ces facteurs constituent des obstacles qui pourraient empêcher son achèvement.
Bref, le conflit actuel est, en son essence, une lutte pour l'avenir de la région entre un Moyen-Orient fragmenté sous domination israélienne et un Moyen-Orient qui tente de retrouver son indépendance, son unité et sa souveraineté.
Comments

