Des centaines de milliers de fidèles commémorent l’Achoura au Liban sous le signe de la résistance

Par Assia Husseini
Le dimanche 6 juillet 2025, des centaines de milliers de fidèles chiites ont participé à la commémoration de l’Achoura organisée par le Hezbollah dans de nombreuses villes et villages à travers le Liban. Cette année, la manifestation centrale dans la banlieue sud de Beyrouth — bastion du Hezbollah — a revêtu une importance particulière, tant par l’ampleur de la mobilisation que par la teneur des slogans scandés, affirmant avec force l’attachement indéfectible de ce peuple à la voie de la résistance face à «Israël».
Dans un contexte marqué par une nouvelle escalade militaire, où «Israël» a lancé une offensive meurtrière contre le Liban, causant des milliers de morts et de blessés ainsi que d’importants dégâts matériels, la commémoration de l’Achoura a pris une dimension hautement symbolique et politique. Cette cérémonie ne constitue pas seulement un rite religieux : elle s’inscrit au cœur de l’histoire contemporaine du peuple de la résistance, incarnant une réponse spirituelle et militante à l’oppression.
Fait marquant cette année, l’absence physique du secrétaire général du Hezbollah, le martyr sayyed Hassan Nasrallah — dont le décès récent a profondément marqué le Liban et le monde chiite — a été largement ressentie. Toutefois, sa voix a résonné à travers ses discours préenregistrés, diffusés par haut-parleurs tout au long du parcours menant au rassemblement central, rappelant son rôle emblématique dans la continuité de la résistance.
Dimension historique : la lutte entre justice et tyrannie
La bataille de Karbala, incarne l’apogée de l’injustice subie par la famille du Prophète Mohammed. Elle est devenue, pour des générations de fidèles, le symbole intemporel de la confrontation entre l’oppression et la justice. Bien que tragique, cette défaite apparente a permis à la mémoire de Karbala de traverser les siècles comme une leçon universelle de courage et de sacrifice.
Pour les Libanais engagés dans la résistance, Karbala constitue un modèle spirituel et historique : le chemin de Dieu est un chemin de souffrance, de pertes et d’épreuves, mais il mène inévitablement à la victoire. En se remémorant les sacrifices de la famille prophétique, les fidèles puisent une consolation dans l’histoire, estimant qu’eux aussi sont appelés à se sacrifier pour préserver la liberté et la justice.
Dimension politique : une identité d’opposition
L’attachement à Karbala a nourri dans l’imaginaire collectif une culture de résistance face à l’injustice. L’imam Hussein est perçu comme le martyr exemplaire qui s’est dressé seul face à un pouvoir corrompu. Aujourd’hui, face aux multiples pressions dont les appels au désarmement de la Résistance islamique, les groupes armés menaçant les zones frontalières avec la Syrie, et les agressions «israéliennes» continues, le peuple de la résistance refuse de plier. Il se reconnaît dans cette posture historique de l’opprimé qui défie l’oppresseur, même au prix du sang.
Dimension religieuse et rituelle : une mémoire incarnée
Les pratiques rituelles de l’Achoura jouent un rôle central dans la cohésion de la communauté chiite. Les lamentations, les représentations théâtrales de la bataille de Karbala ainsi que les Moudhif — ces stations d’hospitalité où sont offerts gratuitement repas et boissons — créent des liens de solidarité profonds. Dans les quartiers populaires de la banlieue sud de Beyrouth, le nombre de ces stations augmente chaque année, transformant l’espace urbain en un lieu de mémoire vivante, où les riches partagent avec les pauvres, et où la foi devient acte social.
Karbala n’est pas un simple épisode du passé. Elle est un champ symbolique actif, une source constante d’inspiration pour les peuples qui luttent contre la domination. Pour le Hezbollah et ses partisans, l’esprit de Karbala structure non seulement leur identité religieuse, mais aussi leur position politique dans les équilibres de pouvoir régionaux et internationaux. La commémoration de l’Achoura, dans ce contexte, dépasse la religiosité pour devenir un acte de résistance culturelle, morale et politique.