La Résistance face à l’ère de la décision catégorique
Par Houssam Matar*
La région du Moyen-Orient est la scène, depuis l'opération Déluge d'Al-Aqsa le 7 octobre 2023, d’une vaste agression américaine contre l’axe de la Résistance, qui inclut le génocide «israélien» à Gaza. Cette guerre à multiples fronts a engendré plusieurs changements dans le paysage régional, reflétant la brutalité du conflit entre l'empire américain et l'axe de la Résistance, ainsi que l'état de crise du système international.
Face à une inquiétude croissante concernant le retour de la compétition entre grandes puissances, les États-Unis ont intensifié ces dernières années leur volonté de réaffirmer leur hégémonie sur la région à travers des arrangements régionaux structurels et des outils de guerre dans la zone grise, ainsi que la diplomatie coercitive.
Premièrement : les changements régionaux qui façonnent la position de l'Iran et de ses alliés dans l'axe de la Résistance.
Ce sont des tendances qui devraient se poursuivre dans les prochaines années :
1.L'expansion «israélienne» visant à établir une domination régionale lui permettant d'imposer la normalisation (sans contrepartie) et de consolider son rôle dans l'ingénierie de la structure sécuritaire et politique de la région, tout en empêchant l'émergence de toute puissance concurrente. Cette expansion commence par la volonté d'effacer complètement la géographie palestinienne, un projet qui avait déjà pris de l'ampleur avant l'attaque du 7 octobre. De cette expansion découlent de nouveaux concepts de sécurité, comme l'établissement de zones tampon, la prévention de l'émergence de menaces, le désarmement et l'adoption d'une guerre prolongée pour parvenir à trancher la situation. Cette expansion pousse toutes les puissances régionales à repenser leurs concepts de sécurité et leur politique étrangère, ce qui est particulièrement visible dans le cas de l'Égypte, de la Turquie et de l'Arabie saoudite, créant ainsi un espace supplémentaire pour des intérêts communs avec l'Iran.
2.L'imposition de l'hégémonie trumpiste sans un engagement militaire américain direct et étendu sur le terrain, selon l'équation «la paix par la force». L'administration américaine, à travers une diplomatie coercitive, renforcée par la personnalité et les manières spectaculaires de Trump, ainsi que son obsession pour les transactions, vise à intégrer «Israël» sur le plan régional en étouffant les sources de la résistance et en élargissant les «accords d'Abraham». Cette diplomatie est pratiquée avec un réalisme dépourvu de prétentions libérales, tout en déléguant aux puissances régionales la gestion des dossiers complexes selon des ententes stratégiques. Cependant, cette augmentation de la délégation aux puissances régionales, dans un contexte de création de vides de pouvoir et de gestion non institutionnelle de la politique étrangère de Trump, intensifie les rivalités régionales. Parallèlement, la Chine et la Russie semblent disciplinées face à cette politique américaine, se concentrant sur les crises les plus urgentes pour leur sécurité nationale en Asie de l'Est et en Europe de l'Est, ce qui a engendré de larges suspicions dans la région à leur égard.
3.La centralité du Golfe dans le système arabe officiel : L'Arabie saoudite est devenue le noyau de cette centralité, suivie du Qatar et des Émirats (centralité politique, économique et informationnelle). Cependant, ces trois puissances entretiennent des relations fluctuantes entre elles et avec les trois puissances régionales non arabes (l'Iran, la Turquie et l'entité sioniste), comme le montre la situation en Palestine, en Syrie, au Soudan et en Libye, par exemple. Les Émirats sont les plus proches d'«Israël», le Qatar est en partenariat avec la Turquie et collabore avec l'Iran, tandis que l'Arabie saoudite entretient une relation de concurrence avec l'Iran et est méfiante vis-à-vis de la Turquie.
4.Les forces de résistance après la dissuasion : Les forces de résistance ont réussi à résister à la guerre «israélienne» soutenue par les systèmes international et régional et ont prouvé l'existence d'un projet d'indépendance collective, mais elles ont payé de lourdes tributs. La guerre a confirmé la difficulté d'éradiquer les forces de résistance, même selon la théorie de la guerre prolongée, en raison de l'enracinement profond de ces forces sur les plans social et politique, ainsi que du coût exorbitant qu'impliquerait une telle guerre, y compris en Occident.
Cependant, les résultats de la guerre ont réduit l'efficacité de l’ombrelle de dissuasion asymétrique qui avait permis aux forces de résistance d'opérer pendant des années, tant sur le plan politique que militaire. Par conséquent, Washington et «Tel-Aviv» cherchent à tirer parti de ce moment pour établir des faits politiques durables qui aboutiraient à une défaite stratégique des forces de résistance. En revanche, ces forces manifestent une grande détermination à résister et à contrôler l'épuisement jusqu'à ce qu'elles aient le temps de procéder à un ajustement stratégique. L'Iran connaît une problématique similaire, mais dans une moindre mesure et avec de meilleures opportunités en raison de son poids géopolitique et économique.
5.Des systèmes fragiles et des sociétés divisées : Les États de la région, en grande partie sous la domination américaine, sont soumis à des systèmes oligarchiques autoritaires dont la fonction est de marginaliser les intérêts de leurs populations au profit du projet colonial et d'entraver l'émergence de projets de libération. À cette caractéristique s'ajoute leur fragilité et leur incapacité sur le plan du développement, ainsi qu'une croissance démographique et une dégradation environnementale. Leurs sociétés connaissent des niveaux élevés d'inégalité et de polarisation politique et identitaire, ce qui les rend vulnérables aux influences extérieures, aux chocs et aux surprises. Il est frappant de noter qu'«Israël» lui-même souffre de ces maux : une élite corrompue, une société politiquement et culturellement divisée, et un système politique instable.
Deuxièmement : Comment l'axe de la résistance est-il affecté et comment réagit-il à cet environnement en mutation ?
1.Dans le contexte actuel d'escalade, de déséquilibre de la dissuasion et d'incertitude, il est probable que la relation entre l'Iran et les forces de résistance (en tant que partenaires locaux stratégiques) évolue vers une augmentation de la centralité stratégique et de la décentralisation politique. Cela reflète la complexité de la relation entre l'Iran et ses alliés, en opposition au modèle «directeur-agent», en raison de l'entrelacement des éléments idéologiques et matériels. L'axe de la Résistance se rapproche donc d'un système en réseau complexe plutôt que d'une structure hiérarchique, avec des dynamiques de coopération mutuelle et de compromis politique entre les membres de l'axe, y compris l'Iran.
2.L'Iran et ses alliés ne sortiront pas du paradigme de la résistance, mais pourraient envisager une révision de la théorie de la résistance pour répondre à de nouvelles réalités, notamment la «différence algorithmique» avec l'entité «israélienne», les changements dans la structure régionale, la lutte acharnée pour la légitimité face aux gouvernements soutenus par les États-Unis, et la continuité de la stratégie de prudence et de protection vis-à-vis de la Russie et de la Chine, ainsi que les évolutions de l'opinion publique occidentale envers «Israël». Les forces de résistance ont déjà expérimenté de telles révisions, notamment lorsqu'elles sont passées des batailles de libération à la gestion de la dissuasion au début de ce siècle.
3.La transformation de la relation entre l'Iran et ses alliés, en termes de dynamisme et d'orientation, est liée à l'équilibre des pouvoirs au sein de l'Iran. D'une part, un courant principal estime que la récente agression contre le pays a confirmé le besoin d'alliés puissants parmi les forces de résistance dans le cadre du système de dissuasion iranien. D'autre part, un courant considère que cette agression démontre la priorité d'une action diplomatique pour négocier avec les systèmes régional et international.
4.Les forces de résistance devront accorder une plus grande importance aux variables politiques locales dans leurs calculs et adapter leur engagement dans l'axe selon ces changements, davantage qu'auparavant. Cela impose aux forces de résistance de redéfinir leurs visions politiques nationales et la place de celles-ci par rapport aux objectifs idéologiques et stratégiques supranationaux. Dans ce cadre, il est essentiel de renforcer les ponts entre la question sociale et la question nationale, afin que les gens comprennent que leur bien-être et leur prospérité durable et juste ne peuvent être réalisés sans souveraineté, indépendance et stabilité régionale.
5.Alors que le centre de la lutte se déplace vers le domaine politique et la légitimité, ces forces doivent faire face aux défis liés à la guerre et à l'après-guerre. Tout en s'adaptant militairement, elles seront contraintes de mener un combat politique pour éviter d'être exclues du processus politique et pour défendre les intérêts des populations qu'elles représentent. Dans ce contexte, la diplomatie iranienne dans la région joue un rôle vital pour influencer la phase post-guerre, souvent appelée «l'étape dorée». Dans cette lutte, le mouvement mondial soutenant la cause palestinienne peut également constituer un autre champ de bataille contre l'occupation et l'hégémonie.
6.La préservation par l'Iran et le développement de son système de dissuasion, qui a subi des dommages partiels malgré sa flexibilité grâce à l'efficacité de ses capacités en matière de missiles, sont des éléments clés dans les stratégies de résilience de ses alliés. Parmi les exigences, il est essentiel d’institutionnaliser l'apprentissage entre l'Iran et ses alliés pour passer de la résistance balistique à la résistance algorithmique, ce qui nécessite un développement institutionnel, mental et organisationnel capable de générer innovation et créativité. Ce développement est précisément l'un des plus grands défis auxquels les forces de résistance font face actuellement.
La capacité d'adaptation militaire de l'Iran et de ses alliés sera influencée par ce que décideront la Russie et la Chine concernant la nature de leur relation avec Washington dans la région, un facteur également affecté par les plans de Trump concernant le conflit avec ces pays. De plus, les transformations dans le marché de l'intelligence artificielle et la rapidité de la diffusion des nouvelles technologies à des coûts décroissants détermineront une grande partie de l'avenir de la «guerre de guérilla intelligente», qui commence à se profiler dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne.
7.Il est nécessaire d’approfondir la compréhension commune des forces de résistance face aux complexités de la région, dépassant les simplifications du discours sur «la paix trumpiste» et la dichotomie entre le camp du bien et le camp du mal, qui apparaissent comme une mauvaise version de la déclaration sur la «fin de l'histoire». La région est alourdie par des injustices et des problèmes structurels qui la rendent fragile, instable et conflictuelle. Ces facteurs sont alimentés par la crise du système international, qui prive les pays en développement de ce que certains considéraient comme leurs plus grands acquis historiques : l'autodétermination, la dé-légitimation de l'invasion et le développement à travers le libre commerce et la sécurité. Les politiques de domination et de marginalisation dans la région sont les sources les plus durables du renouvellement des projets de résistance et d'indépendance. Une compréhension approfondie de la région permet également aux forces de résistance de saisir des signaux, même s'ils sont faibles, pour des opportunités latentes qui doivent être exploitées.
8.Le concept d'usure reste prédominant dans la nature du conflit dans la région, face à l'échec des tentatives de résolution, malgré l'utilisation massive de la violence par l'entité israélienne. Ainsi, l'Iran et ses alliés doivent maîtriser la gestion du temps et des ressources, approfondir les racines de la légitimité populaire, réformer leurs systèmes internes et développer la manœuvre politique pour surmonter les tentatives d'isolement interne et externe. En d'autres termes, ils doivent posséder les caractéristiques d'une course de marathon plutôt que de penser en termes de sprint de 100 mètres.
Le moment actuel dans la région pourrait-il être une répétition de la période qui a suivi la chute de l'Union soviétique ou l'invasion de l'Irak, où le succès américain s'est rapidement dissipé, ou bien la région est-elle confrontée à un moment de transformation continue qui consacre la «paix américaine» ?
Jusqu'à ce que la réponse soit claire, l'Iran et ses alliés n'ont d'autre choix que de résister, de contrôler l'épuisement et d'attendre les opportunités dans un monde dont les conditions changent à une vitesse incroyable. Parmi les éléments à surveiller, il y a les prochaines mesures entreprises par Trump en Ukraine et en Asie de l'Est, ainsi que l'évolution des troubles intérieurs aux États-Unis et dans l'entité d'occupation israélienne, les contradictions potentielles concernant le lendemain politique entre Trump et Netanyahu, et les issues des nombreuses crises régionales graves qui demeurent entourées de mystère et de surprise.
*Article paru dans le quotidien libanais al-Akhbar, traduit par l’équipe du site