L’interview complète du secrétaire général du Hezbollah à la chaîne Al Mayadeen

Ghassan Ben Jeddo : Chers téléspectateurs, que la paix de Dieu soit sur vous. La peine causée par la disparition du sayyed de la oumma, le martyr sayyed Hassan Nasrallah, ne nous quittera jamais. Il représentait beaucoup pour la plupart d’entre nous, y compris – ou surtout – pour notre honorable invité. Mais cette peine est aussi un moteur, un stimulant qui pousse à l’effort, à l’initiative. Il s’agit de reprendre l’initiative, de maintenir un réalisme constant et une sagesse lucide – autant de qualités que possèdent sans doute les personnes concernées, comme l’ont montré les mois qui ont suivi cette perte.
La responsabilité est immense, difficile, complexe. Quelle mission ardue, quelle lourde charge ! Les défis sont à la fois internes, externes, et même personnels, et leur complexité s’accroît, elle peut même devenir une confrontation que seuls les partisans de la destruction et de l’exclusion souhaitent – ceux qui poussent à la guerre contre l’autre, contre celui qui est différent. Mais ils sont rares, même si leurs voix sont fortes et leur influence grande.
Cet entretien journalistique est difficile. C’est sans doute normal et compréhensible. Il est chargé d’un poids psychologique, d’une incapacité à tout dire ou à tout analyser. Mais nous avons confiance en notre invité, le successeur du secrétaire général, pour sa sincérité, sa capacité à expliquer avec transparence, à parler franchement, à désigner les plaies avec honnêteté, face à un public avide de vérité et en droit de connaître son avenir – disons-le clairement, l’avenir de son existence dans la dignité, le respect et la sécurité. Cela vaut pour son pays, le Liban, où la richesse du pluralisme constitue une grandeur, mais aussi une diversité basée sur de profondes divergences et contradictions. Ce qui ajoute à la complexité et au défi, et appelle de nombreuses réponses. Ils sont différents, c’est vrai, mais ils sont tous partenaires dans la patrie, et ils ont le droit de poser des questions, de ne pas être d’accord, d’exiger des solutions qu’ils considèrent eux aussi existentielles pour l’entité libanaise.
L’opinion publique arabe a besoin de comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe. Les hommes libres, amis de la cause arabe et du combat commun, veulent savoir ce que réserve l’avenir et quelles sont les chances de continuer et de rester ferme. Après des années – voire des décennies – de victoires historiques, une défaite sécuritaire grave est venue ternir cette épopée. Même une résistance militaire héroïque, qui a permis un grand succès, n’a pas suffi à apaiser la soif des peuples et des partisans, ni des personnes libres d’esprit où qu’elles soient. Et, soyons francs, elle n’a pas encore réussi à leur apporter une garantie réelle face à la poursuite d’une agression traîtresse, haineuse, contre le Liban, notamment dans des zones bien connues de son territoire et de son peuple.
Peu nombreux sont ceux qui pouvaient imaginer une résistance sans son leader sayyed Nasrallah, ou un parti sans son sayyed Hassan qui était le meilleur de nous tous. Aucun de nous, ignorant les desseins divins, et ce que Dieu décide pour le meilleur d’entre nous (notre grand martyr), n’imaginait finir ses jours sans sayyed Hassan.
Mais en même temps, ceux qui sont proches de la résistance et de son parti au Liban n’ont pas été surpris de voir que le successeur légitime du Grand Secrétaire général sayyed Hassan, puis du secrétaire sayyed Hachem, est aujourd’hui le secrétaire général cheikh Naïm Qassem.
L’introduction d’un entretien journalistique ne permet pas de s’étendre ni de faire des éloges, même s’ils sont justifiés. Mais le succès de l’homme dans la gestion de la bataille militaire, de manière inattendue même pour ses alliés, comme dans la reconstruction d’une organisation frappée au cœur – et ce n’est pas une exagération –, ainsi que l’organisation de funérailles historiques entourées de menaces sécuritaires et de risques de chaos, sont autant d’exemples clairs de cette réussite.
Aujourd’hui, nous sommes en quête des réponses d’un dépositaire digne de confiance, détenteur d’une décision responsable, reconnu pour sa compétence organisationnelle et administrative, sa flexibilité solide, sa sagesse patriotique, et son engagement pour une cause commune qui rassure une base sociale qui a donné ce qu’elle a de plus précieux. Cet homme se distingue par sa loyauté, son courage et son sens élevé de la nation.
Un entretien spécial, donc, aujourd’hui avec cheikh Naïm Qassem, le secrétaire général du Hezbollah. Un entretien que nous espérons global, même s’il ne saurait tout couvrir, et qui pourrait être le début d’un récit nécessaire que des générations entières attendent – et pas seulement quelques-uns d’entre nous. Un dialogue axé sur le présent immédiat, en attendant que le brouillard se dissipe et que nous puissions, plus tard, raconter l’histoire complète du Hezbollah, ses grandes et petites étapes, ses zones d’ombre inquiétantes et ses réalisations grandioses mais invisibles, inexprimées – bien que rassurantes, du moins selon ce que nous entendons et comprenons.
Cheikh Naïm Qassem, je commence par vous exprimer tout notre respect et notre reconnaissance. Merci pour votre temps, alors que je sais que vous êtes soumis à des pressions énormes. Peut-être est-ce un bon choix de vous rencontrer à l’occasion du treizième anniversaire de la chaîne Al Mayadeen –une chaîne modeste, dotée de moyens limités, avec des capacités que nous aimerions plus grandes. Une chaîne modeste, dont les productions sont toutefois attendues par les grands, et qui mérite encore plus de notre part, malgré nos lacunes et nos insuffisances, que nous reconnaissons.
Cheikh Naïm Qassem : Tout d’abord, je vous souhaite la bienvenue. Au nom de Dieu. Je tiens à féliciter Al Mayadeen et vous en particulier, ainsi que tous vos collaborateurs. La chaîne Al Mayadeen a réussi à combler un vide immense dans notre région, tout en étant le principal défenseur du projet de la résistance, de la dignité, et de l’unité de la Oumma. Dans un contexte de domination mondiale visant à affaiblir notre peuple et à soutenir l’entité «israélienne», en cherchant à imposer des formules troubles et de soumission dans la région, votre média accompagne les événements avec efficacité et il a un important impact. Il possède les moyens et la compétence et il devient un outil essentiel. Que la chaîne Al Mayadeen réussisse à devenir ce soleil éclairant le monde, au point que même «Israël» ne supporte pas qu’elle montre simplement la réalité, et l’empêche de travailler en Palestine occupée : c’est là une médaille d’honneur pour sa démarche et sa méthode. Félicitations à vous, à toute l’équipe, et sincèrement, félicitations aux téléspectateurs qui peuvent entendre et voir une vérité qui leur permet de ne pas être trompés par de fausses sources.
Ghassan Ben Jeddo : Permettez de poser une question de fond. Vos accomplissements sont vastes et importants et s’étalent sur des décennies. Depuis 1982, date du lancement de la résistance au Liban, on connaît bien les étapes majeures du Hezbollah : la libération du Sud, la guerre de juillet, ce que vous appelez la «troisième libération» dans la bataille du Qalamoun, et bien d'autres encore. Mais dans ce parcours, comment la direction du Hezbollah a-t-elle perçu la bataille de soutien à Gaza ?
Cheikh Naïm Qassem : Pour nous, la bataille de soutien est un résultat naturel du Déluge d’Al-Aqsa. Le 7 octobre, jour du Déluge, il était clair pour nous – comme pour le monde entier – qu’un déluge avait commencé. Les frères au sein de la direction du Hamas à l’intérieur ont lancé cette opération exceptionnelle, renversante, qui a changé les équilibres de la région. Mais nous n’en avions pas été informés.
Je me souviens qu’une demi-heure après le début de l’opération, un message est parvenu au secrétaire général sayyed Hassan lui annonçant que le Déluge d’Al-Aqsa avait commencé à partir de Gaza, et qu’ils attendaient de voir ce que le Hezbollah pouvait faire, avec l’espoir qu’il entre pleinement dans la bataille. L’idée était que celle-ci serait exceptionnelle et qu’elle pourrait aboutir à des résultats extraordinaires.
Mais de prime abord, il était nécessaire de nous consulter entre nous et de discuter de la décision à prendre. On ne peut pas trancher une telle décision en un quart d’heure ou une demi-heure. La première idée de sayyed Hassan a été de lancer, le lendemain, une opération sur les fermes occupées de Chebaa, qui sont considérées libanaises par le Liban. Cela pourrait entraîner une riposte «israélienne», à laquelle nous répondrions à notre tour, en élargissant progressivement l’engagement, le temps de réfléchir jusqu’où nous pouvions aller et ce que nous pouvions faire.
Le Conseil Consultatif (la Choura) s’est réuni, et il a décidé que nous devions entrer dans une bataille de soutien, non une guerre totale. Pourquoi ? Parce qu’une guerre totale entraînerait de graves conséquences et qu’il faut s’y préparer longtemps à l’avance – ce qui n’était pas le cas. Il était donc nécessaire de s’engager de manière limitée, d’observer les évolutions pendant une à deux semaines, puis de trancher plus clairement notre position.
Après deux à trois semaines de soutien actif, la direction de la Choura, sous la présidence de sayyed Hassan, a conclu clairement qu’il fallait poursuivre cette bataille d’appui, et ne pas se lancer dans une guerre totale. Pourquoi ? Parce que ce soutien permettait d’atteindre les objectifs. Il n’était donc pas nécessaire de se lancer dans un affrontement généralisé, qui entraînerait des destructions, une intervention américaine, et une escalade incontrôlable, sans forcément atteindre les buts recherchés.
Tandis qu’avec l’ouverture du front de soutien, nous avons pu :
- Détourner une part importante des forces «israéliennes» vers le nord.
- Provoquer l’exode de populations, créant ainsi une crise sociale, économique et sécuritaire dans le nord de la Palestine.
- Infliger le plus de pertes possible aux soldats ennemis, ce qui contribue à alimenter leur défaite.
Ce soutien a permis d’alléger la pression sur Gaza, et il a envoyé un message clair aux «Israéliens» : vous devrez faire face à deux fronts, mieux vaut donc trouver une solution et arrêter cette guerre. La bataille de soutien a donc permis de réaliser les objectifs tout en évitant les conséquences d’une guerre ouverte.
Ghassan Ben Jeddo : Vous avez dit avoir été contactés une demi-heure après le lancement de l’opération. Était-ce depuis le Liban ou depuis Gaza ? Et surtout : on vous a demandé explicitement de lancer une guerre totale, sans coordination préalable ?
Cheikh Naïm Qassem : Il n’y avait aucune coordination préalable avant le déclenchement de l’opération. Nous n’étions pas au courant. Et si nous ne sommes pas informés, nous ne pouvons pas entrer dans une guerre généralisée. Comme je vous l’ai dit, après trois semaines d’analyse et d’évaluation de la situation, nous sommes arrivés à la conclusion que le soutien suffisait à atteindre les objectifs.
Ghassan Ben Jeddo : Le message vous est parvenu du Liban ou de Gaza ?
Cheikh Naïm Qassem : Non, nous avons reçu un message transmis par quelqu’un au Liban, qui lui-même le tenait de Gaza. Le message venait de Mohammad Deif en personne. Je ne me souviens pas s’il y a eu un message séparé de Yahya Sinwar. Celui qui gérait tout cela directement était sayyed Hassan lui-même. C’est donc lui qui recevait les communications. Pour nous, la bataille de soutien permettait d’atteindre l’objectif requis.
Ghassan Ben Jeddo : Leur avez-vous clairement expliqué votre position ?
Cheikh Naïm Qassem : En vérité, la personne avec qui nous avons discuté le plus à ce moment-là, c’était Khalil al-Hayyé, avec quelques-uns de ses compagnons. Ils venaient fréquemment au Liban. Je peux dire que deux mois après le déclenchement de la bataille de soutien, ils ont dit clairement, lors d’une réunion avec sayyed Hassan : «Nous sommes désormais convaincus que le soutien est suffisant et il atteint l’objectif visé.»
Mais pendant les deux premiers mois, il y avait un débat: le soutien n’était-il pas insuffisant ? Finalement, il s’est avéré que l’ennemi «israélien» était dans une logique d’extrême brutalité. De nouvelles règles se sont imposées, inédites dans l’histoire de l’entité sioniste. Le soutien américain était total, sans limite, permettant à «Israël» de faire ce qu’il voulait à l’intérieur de Gaza. Face à une telle barbarie, une guerre généralisée n’aurait pas changé le cours des choses. Le soutien permettait déjà d’atteindre l’essentiel.
Ghassan Ben Jeddo : Dans quelle mesure avez-vous pris en compte la situation intérieure libanaise, les divergences entre les forces politiques ?
Cheikh Naïm Qassem : Permettez-moi d’être franc et clair : bien que nous soyons convaincus de la nécessité de libérer al-Qods (Jérusalem), et que l’occupation «israélienne» a aussi des conséquences sur le Liban – puisque des territoires libanais restent occupés –, nous tenions en même temps compte de la spécificité libanaise dans nos actions. Il existe au Liban des partis qui ne partagent pas notre vision ou nos méthodes. Certains estiment que nos choix sont acceptables si nous agissons seuls, mais inadmissibles dans un pays à la composition aussi diversifiée. Nous avons donc toujours veillé à ce que nos décisions prennent en compte le contexte libanais.
Pour le dire clairement : la bataille de soutien a été concçue pour servir Gaza, tout en ne nuisant pas au Liban. Sayyed Hassan répétait toujours : «Nous ne voulons pas de guerre au Liban.» Ce n’était pas un secret. C’est d’ailleurs devenu un message public. C’est sur cette base que les Américains ont retiré leur navire de guerre, qu’ils avaient pourtant placé en état d’alerte pour être prêt à intervenir afin de soulager «Israël», si le Hezbollah entrait pleinement dans le conflit.
Ce message a été compris par les autres acteurs. Oui, nous avons pris en compte la situation libanaise, de façon à ce qu’elle n’ait pas d’impact négatif sur la manière de mener l’affrontement.
Ghassan Ben Jeddo : La décision (d'intervenir) a donc été une décision collective, ce n’était pas seulement celle de sayyed Hassan Nasrallah ?
Cheikh Naïm Qassem : Il y a un point que beaucoup de gens ignorent à propos du sayyed: Il soumettait toujours les questions à la Choura (conseil consultatif). Et parfois, lorsqu’il avait une opinion et qu’il en entendait une autre convaincante, il modifiait la sienne. La décision d’apporter un soutien (à Gaza) a été prise à l’unanimité au sein de la choura.
Ghassan Ben Jeddo : Le jour même ?
Cheikh Naïm Qassem : Non, pas le premier jour. Le premier jour, il y a eu l’initiative du 8 octobre, avec la frappe sur les Fermes de Chebaa.
Ghassan Ben Jeddo : Quand vous êtes-vous réunis ?
Cheikh Naïm Qassem : Deux jours plus tard. Il fallait réunir tout le monde, car une telle décision ne peut pas être prise par téléphone ou via des contacts dispersés, d’autant que tout s’était passé rapidement de façon inattendue. Donc, concrètement, la décision a été collective. Toutes nos décisions fondamentales sont prises ainsi. Et ensuite, le sayyed gérait la bataille conformément aux grandes lignes sur lesquelles nous étions tous d’accord.
Ghassan Ben Jeddo : L’opération «Déluge d’al-Aqsa» s’inscrivait dans le cadre de ce que l’on appelle «l’unité des fronts». Il était donc compréhensible que les frères à Gaza vous demandent, ou espèrent, que vous participiez à cette bataille dans cette logique. Mais ma question, de façon claire et directe : Faisiez-vous aussi partie, en quelque sorte, d’une «unité des objectifs» ? C’est-à-dire que, tout comme vous combattez ensemble, vous avez aussi une salle d’opérations politiques partagée, vous discutez, vous négociez ensemble, etc ? Est-ce que cela a existé ou pas du tout ?
Cheikh Naïm Qassem: Pour être clair avec vous : non, il n’existe pas chez nous de salle d’opérations pour une «unité des fronts» ou une «unité des objectifs», où l’on se réunirait, discuterait, répartirait les rôles, échangerait des rapports, etc. Ce genre de structure n’existe pas. Le concept d’unité des fronts est né un ou deux ans avant le Déluge d’al-Aqsa, dans le cadre de discussions et de réflexions. Puisqu’on a les mêmes objectifs, qu’on lit tous dans le même livre, pourquoi ne pas créer une coordination sous cette appellation ? Ce n’était qu’une idée. Elle n’a pas été traduite de manière organisationnelle concrète.
Oui, la République islamique d’Iran joue un rôle fondamental dans ce cadre, et la cause centrale reste la Palestine et Jérusalem. Mais il n’y a pas eu de structure formelle. Lorsque le Déluge d’al-Aqsa a eu lieu, il s’est naturellement inscrit dans l’unité des fronts, en raison de l’unité des objectifs que nous partageons. C’est alors qu’une forme de coordination a commencé
Chaque front a agi selon ses propres conditions et ses propres évaluations face à «Israël». Personne ne dictait à l’autre ce qu’il devait faire. La direction du Hezbollah s’est réunie pour décider de ce que nous pouvions faire, nous, dans cette conjoncture, en tant que partie intégrante de cette unité. Les Yéménites ont fait de même. Les Irakiens aussi. Les Iraniens ont réfléchi à leur tour. Chaque groupe a agi de sa propre initiative.
Ghassan Ben Jeddo : Donc l’Iran n’était pas au courant de ce qui allait se produire lors du Déluge d’al-Aqsa ?
Cheikh Naïm Qassem : D’après mes informations, l’Iran n’était pas au courant. Mieux encore : une partie de la direction du Hamas à l’extérieur de Gaza n’était pas non plus au courant.
Ghassan Ben Jeddo : Et comment l’Iran a-t-il réagi dans ce cas ?
Cheikh Naïm Qassem : L’Iran, tout comme nous, a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’ouvrir un débat du type : «Pourquoi on ne nous a pas prévenus... ?» Les Iraniens ont considéré qu’il y avait une responsabilité morale et politique : il faut défendre la cause palestinienne à chaque étape. Or nous sommes ici à une étape stratégique essentielle, appelée le Déluge d’al-Aqsa. Que pouvons-nous faire ? Ils ont donc étudié la situation et agi selon ce qu’ils estimaient possible à ce moment-là. Il ne faut pas oublier que le soutien iranien – militaire, financier, politique, médiatique, en matière de renseignement – ne s’est jamais arrêté.
Ghassan Ben Jeddo : Nous arrivons au passage le plus complexe. Cette rencontre n’a pas pour but de livrer un récit complet ou une narration exhaustive. C’est un parcours par étapes, et peut-être la plus difficile et la plus douloureuse, c’est celle des bipeurs et des talkies walkies. On en parle beaucoup, presque comme une histoire irréelle. Avez-vous mené une enquête ? Avez-vous découvert ce qui s’est passé ? Était-ce une infiltration humaine ? Une trahison ? De quoi s’agit-il exactement ?
Cheikh Naïm Qassem : Nous avons formé un comité central d’enquête, qui fonctionne toujours et n’a pas encore terminé son travail. En parallèle, nous avons mis en place des sous-comités pour chaque dossier : le bipeur, le lieu où est tombé le sayyed, celui où est tombé sayyed Hachem, etc. Le comité central est toujours en activité. Mais je peux déjà vous livrer quelques conclusions générales.
Concernant le bipeur : la faille majeure se situe au niveau de l’achat. Les frères pensaient que l’achat était bien protégé, qu’il passait par divers pays pour ne pas être relié au Hezbollah. Mais il s’est avéré que les personnes chargées de l’achat étaient exposées, ou que les sociétés impliquées étaient suivies jusqu’à l’entreprise mère, laquelle avait un lien direct ou indirect avec les «Israéliens», ou bien qu’«Israël» les suivait d’une certaine manière.
Ghassan Ben Jeddo : Savez-vous de quelle année date cet achat ? Le comité d’enquête a-t-il déterminé quand le bipeur piégé a été acquis ? Était-ce seulement au cours des derniers mois ?
Cheikh Naïm Qassem : Tous les achats remontent à l’année dernière ou à un an et demi.
Ghassan Ben Jeddo : Ce type précis de bipeur ?
Cheikh Naïm Qassem : Oui, ce type-là. Deuxième point: nous avons effectué des tests sur ces bipeurs – des tests sérieux – mais il s’est avéré que le type d’explosif utilisé dans ces appareils était très particulier. Les moyens de détection dont disposaient les frères ne permettaient pas de le découvrir. On dit aujourd’hui qu’il aurait fallu employer d’autres méthodes, ce qu’on peut interpréter comme une faille ou un manque de moyens. Mais nos deux grandes failles étaient : une chaîne d’approvisionnement compromise, et une incapacité technique à détecter l’explosif. Ce qui a conduit à cette tragédie qui a frappé environ 3 000 frères, sœurs, enfants, hommes et femmes selon l’endroit où se trouvait le bipeur piégé.
Juste pour mémoire : le 17 septembre a eu lieu l’explosion des bipeurs ; le 18 septembre, celle des talkies walkies. L’après-midi du 18, nous avions une réunion de la choura, la dernière tenue avec le sayyed. Il était très en colère, et il a alors chargé des comités d’enquête de travailler sur ces sujets, tant l’affaire était étrange et choquante.
Autre point : nous avions aussi une faille dans notre réseau de communication. Des frères nous avertissaient d’écoutes ponctuelles ici ou là, mais l’ampleur réelle du piratage nous échappait. L’ennemi israélien avait pratiquement accès à tout, il entendait tout, voyait tout. Ce niveau de surveillance, nous ne l’avions pas mesuré.
Troisième point : les drones israéliens, qui survolaient le Liban chaque jour pendant 17 ans, accumulaient une base de données sur les changements géographiques : une pierre déplacée, un champ modifié, etc. Ce qui leur a permis d’identifier nos points sensibles avec une certaine précision. Là encore, leur savoir dépassait largement ce que nous avions anticipé.
Je peux dire très franchement que la question des infiltrations humaines est devenue aujourd’hui très limitée comparée à la masse d’informations collectées par les moyens techniques et technologiques : surveillance, drones, écoutes… Jusqu’à présent, nous n’avons détecté aucun espionnage humain de grande ampleur, ni dans les hautes sphères du Hezbollah.
Ghassan Ben Jeddo : Pas même un responsable important ?
Cheikh Naïm Qassem : Je choisis mes mots : non, aucune indication de ce genre. Et si un jour il devait y avoir une telle révélation, je m’engage à le dire publiquement. Pour l’instant, le facteur décisif a été l’énorme masse d’informations collectées par les «Israéliens» via les moyens technologiques.
Ghassan Ben Jeddo : Est-il vrai que le Hezbollah avait commencé à se douter du fait que ces bipeurs étaient piégés, et qu’il a entamé des vérifications en ce sens, alertant ainsi Israël qui a alors frappé ?
Cheikh Naïm Qassem : Dans les deux derniers jours précédant l’attaque, il y a eu une tentative d’examiner les bipeurs d’une manière différente ; en les ouvrant ou en les démontant. Car un doute s’était installé. Est-ce ce qui a poussé «Israël» à agir ? C’est leur estimation. Mais nous, nous n’avons pas d’information concluante à ce sujet.
Ghassan Ben Jeddo: Est-il aussi vrai qu’une autre cargaison de matériel militaire, également piégée, ne vous est jamais parvenue ?
Cheikh Naïm Qassem : C’est vrai. Un exemple frappant: une cargaison d’environ 1 500 bipeurs piégés se trouvait en Turquie. Il y a eu alors un contact avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati, pour qu’il appelle le président Erdogan et lui demande de faire détruire cette cargaison qui allait presque atteindre l’aéroport. Cela s’est produit après l’explosion du premier lot. Nous avons ainsi pu éviter de la recevoir, même si elle avait déjà effectué une partie du trajet.
Ghassan Ben Jeddo : Je ne sais pas si c’est exact, vous savez les rumeurs vont bon train, mais on m’a dit – ou du moins c’est ce qui m’est parvenu – qu’il y aurait eu aussi des gilets pare-balles destinés aux militaires et aux résistants qui étaient piégés. Et si ces gilets vous étaient effectivement parvenus, cela aurait été une catastrophe majeure. On parle de milliers de soldats qui auraient pu être atteints.
Cheikh Naïm Qassem : Je ne suis pas au courant. Je veux dire que cela n’a jamais été évoqué devant moi comme une réalité.
Ghassan Ben Jeddo : Je vous remercie sincèrement pour votre franchise. Cette sincérité est une forme de courage. Vos propos rassurent sans aucun doute l’opinion publique : vous êtes un secrétaire général franc, transparent, courageux, audacieux et rassurant. Mais en même temps, il se peut qu’une partie de l’environnement proche, des amis et des partisans, qui sont pris d’inquiétude, se posent des questions. Le Hezbollah était, à un moment donné, extrêmement puissant, et pourtant ce qui est arrivé est arrivé. Peut-être êtes-vous aujourd’hui un peu moins puissant à cause de ce qui a suivi la guerre. Comment pouvez-vous être sûrs que ce que vous avez aujourd’hui n’est pas à nouveau infiltré de cette manière ?
Cheikh Naïm Qassem : Permettez-moi de vous poser une question. Est-ce qu’un parti qui a été frappé par les bipeurs, qui a vu ses télécommunications ciblées, qui a perdu des capacités spécifiques en une seule journée à travers 1600 frappes menées par 250 avions «israéliens» sur différents sites, qui a perdu son secrétaire général sayyed Hassan, ainsi que sayyed Hachem, et un groupe important de commandants de premier rang et de cadres dans les unités… selon la théorie «israélienne», ce parti devrait être anéanti. C’était leur prévision. Eh bien, lorsque ce parti se remet sur pied, qu’il tient bon dans la bataille, et qu’il parvient, en deux mois, à amener «Israël», le 27 novembre 2024, à un accord de cessez-le-feu… et surtout, qu’il continue d’exister, que signifie tout cela ?
Cela signifie que la puissance latente au sein de ce parti – en hommes, en matériel – mais surtout au niveau de la doctrine, de la spiritualité, de la foi et de la fermeté, permet à un seul individu d’en valoir dix, vingt, voire trente. Sans cette force intérieure réelle – et sa mise à l’épreuve sur le terrain est avérée, ce n’est pas un discours creux, mais une réalité – rien n’aurait été possible. Ce parti s’est redressé. Maintenant, vous me dites que ce n’est plus comme avant ? C’est vrai. Il y a eu d’énormes sacrifices. Où sont partis ces sacrifices ? Quelle est la différence ? C’est que ces sacrifices ont élevé le rang de ceux qui les ont accomplis. Ceux-ci ont atteint le martyre qu’ils désiraient et ils nous ont donné, à nous, l’élan pour continuer à assumer la responsabilité, éduquer les générations à venir, poursuivre le chemin avec notre peuple et nos résistants vers une nouvelle étape.
Je l’ai dit lors des funérailles : nous entrons dans une nouvelle phase. Cette nouvelle phase a ses propres données, ses propres outils, ses propres moyens, ses propres plans. Mais nous restons constants.
Sincèrement, je ne suis pas simplement rassuré, je suis confiant et je dis : à quoi vous attendez-vous d’autre, sinon à ce que nous soyons là, forts, capables de construire l’avenir que nous voulons ? Ce parti qui a des dirigeants tombés en martyrs, des blessés dont vous devriez écouter les témoignages, ceux des bipeurs. Ils disent des choses incroyables. Ils ont une spiritualité et un moral incroyables, et chacun d’eux continue à lutter, là où il est utile. Écoutez les gens, notre peuple, ce qu’ils disent. Voyez leur attachement, leur fierté de parler du martyre de leurs enfants. Certains disent: «Il m’en reste deux», «J’en ai perdu trois, il m’en reste deux», «Un est tombé, il m’en reste un»… Les jeunes, les femmes, les vieux, les enfants, garçons ou filles de huit ou neuf ans, parlent comme s’ils avaient étudié dans les plus grandes universités du monde. Ils comprennent ce qu’ils disent. Je vous le dis : un tel peuple, une telle nation, un tel parti, une telle résistance… qui peut croire qu’ils peuvent être vaincus ? Ils ne seront pas vaincus.
Oui, ils ont été frappés durement. Oui, il y a eu de grands sacrifices. Dès le départ, nous avons pourtant dit que le parti avait gagné. Certains nous ont critiqués, sans entendre ce que nous entendions par victoire. Pour nous, la victoire c’est :
- Le fait que le parti ait continué à exister.
- Le fait qu’«Israël» ait été empêché de progresser vers l’intérieur libanais, de parvenir à Beyrouth ou à Saïda.
- Le fait que l’harmonie interne au Liban ait été maintenue au meilleur niveau, sans qu’«Israël» réussisse à semer la discorde.
- Le fait que le projet d’anéantissement n’a pas été accompli, que les objectifs «israéliens» n’ont pas été atteints.
Et nous poursuivons le chemin. C’est cela notre victoire. La victoire n’est pas toujours une victoire militaire. La vraie victoire, c’est celle de la continuité. Qui peut imaginer qu’une résistance dotée de ces capacités et de ces moyens, puisse affronter «Israël», l’Amérique et une partie du monde occidental avec des ressources aussi modestes ? Vous savez ce que cela signifie quand on dit qu’«Israël» recevait chaque jour entre trois et quatre avions remplis de tonnes de munitions ?! Ils ont parlé de 600 avions, et plus de 100 navires, tous remplis d’armes. Le monde entier affrontait ce petit groupe, et pourtant il est resté debout. «Israël» a fini par signer un accord avec l’État libanais, et nous restons toujours debout et fermes. Que dire ? C’est une victoire par la continuité de la résistance.
Je rassure les gens : nous sommes toujours là, solides et déterminés. Que peut faire «Israël» ?
Ghassan Ben Jeddo : Il poursuit ses actions, ses frappes, ses traîtrises…
Cheikh Naïm Kassem : Imaginons qu’«Israël» continue son agression. Je vous le dis franchement : ce type d’agression qu’il développe progressivement, les dernières frappes sur la banlieue sud visant neuf immeubles sans raison, font partie d’une tentative israélienne coordonnée à 100 % avec les Américains, sur leurs recommandations. «Israël» a dit : «J’ai frappé la banlieue sud de Beyrouth après avoir consulté les Américains. » Et il dira toujours qu’il les consulte…
Ghassan Ben Jeddo : Et vous le croyez.
Cheikh Naïm Qassem : À 100 %, les «Israéliens» se concertent en permanence avec les Américains. Et peuvent-ils faire quoi que ce soit sans les Américains ? Le projet américain, c’est : «Obtenons par la politique ce que nous n’avons pas pu obtenir par la guerre.» Pour réussir cela, il leur faut exercer des pressions, et ces pressions passent par «Israël». Mais nous ne pouvons pas rester patients indéfiniment. Il y a une limite. Quand ? Comment ? Par quels moyens ? Je ne suis pas là pour déterminer les mécanismes ni le moment. Mais si «Israël» – derrière lui les États-Unis et d’autres – pensent qu’en nous pressant davantage ils atteindront leurs objectifs, ils se trompent. Quelles que soient les pressions, ils n’y parviendront pas. Nous l’avons déclaré : nous agirons quand notre décision nous le dictera. Et nous n’avons que deux choix : la victoire ou le martyre. La capitulation n’est pas une option pour nous. Ce n’est même pas envisageable. Donc, s’ils veulent une solution, qu’ils arrêtent les pressions, qu’ils appliquent l’accord, et l’État libanais avancera en conséquence, de manière appropriée.
Ici, je tiens à saluer le président Joseph Aoun, et les responsables libanais : le président Berry, tous les responsables concernés – je ne vais pas les citer un à un maintenant. Mais j’ai remarqué, après le bombardement de la banlieue sud, une scène magnifique : tous les piliers de l’État libanais étaient unis dans la même position. Le commandant en chef de l’armée avait la même position, la résistance aussi, le Hezbollah et Amal, ainsi que de nombreux alliés…
Ghassan Ben Jeddo : Et en poursuivant notre conversation, il faut absolument évoquer le moment du martyre du Sayed. Soit dit en passant, nous préférons parler du martyre de Sayed Hassan plutôt que de son assassinat, peut-être pour des raisons religieuses, doctrinales, humaines, émotionnelles, etc. À un moment donné, vous parlerez sûrement plus en détail de cet événement. Mais s’il vous plaît, expliquez-moi certains dessous de ce moment. Cette explosion, ce que l’on a dit au sujet de votre surprise face au fait qu’il se trouvait dans l’endroit où il avait l’habitude d’être, de parler, de se réunir, de diriger sa salle d’opérations… Et sur le plan personnel, que s’est-il passé en vous à ce moment ?
Cheikh Naïm Qassem : Le martyre de sayyed Hassan n’a pas seulement été une surprise pour le monde entier, mais aussi pour nous. Si vous m’aviez demandé, avant ce moment, ce que je pensais, je vous aurais dit : «J’imagine que nous mourrons tous et que le Sayed restera. À cause de son âge, de sa force, de son courage, de la bénédiction divine, d’un ensemble de données peut-être liées à sa mission… Nous ne connaissons pas le moment de la mort. Nous ne nous attendions pas à ce que Sayed Hassan devienne un martyr à ce moment-là. Mais peut-être aussi était-il en droit de se reposer, de s’élever au rang suprême. Pour nous, le martyre est la plus haute distinction. Il a reçu la médaille suprême. C’est ainsi que nous le voyons. Mais nous, nous avons perdu. La perte est la nôtre.
Nous ne pleurons pas parce qu’il est parti, non. Il s’est reposé. Il est dans l’au-delà. Il a tracé une voie, et cette voie continue. Nous pleurons parce que nous ne savons pas comment compenser ses capacités, ses compétences, son aura, son ton, sa générosité, son énergie… Mais c’est la loi de la vie. Nous sommes des gens pieux, nous craignons Dieu, nous connaissons le droit, nous savons que la mort est une réalité, et le martyre aussi.
Personnellement, je me suis dit : est-ce vrai qu’il est devenu martyr ? Peut-être que la nouvelle est fausse. Peut-être qu’en creusant, on découvrira qu’il était dans une pièce qui n’a pas été touchée… Jusqu’à ce que les frères confirment, le lendemain, que c’est bien son corps qui a été extrait. Honnêtement, la chose la plus difficile pour nous, à notre poste, c’est : comment continuer après lui ? Car chez nous, un martyre ne met pas fin à une trajectoire. Un martyre nourrit la trajectoire. La vraie question est : sommes-nous à la hauteur pour que ce martyre nous nourrisse et nous permette d’accomplir notre devoir ? Que Dieu nous aide à y parvenir.»
Ghassan Ben Jeddo : Je vous demande la permission d’observer une courte pause.
Chers téléspectateurs, restez avec nous, une courte pause et nous reviendrons pour poursuivre cette interview exclusive avec cheikh Naïm Qassem, secrétaire général du Hezbollah.
Ghassan Ben Jeddo : Vous avez parlé de sayyed Hassan Nasrallah, dans ses derniers jours, sa dernière réunion avec la choura, sa dernière intervention. Pourriez-vous nous raconter brièvement comment il vivait ces derniers instants, ses sentiments, ses paroles ? Il y a beaucoup de récits à ce sujet, et nous aimerions entendre le témoignage de quelqu’un qui l’a connu et fréquenté.
Cheikh Naïm Qassem : Franchement, dans les derniers mois, j’avais remarqué un changement chez Sayed Hassan. Il était devenu plus calme, plus spirituel. Il parlait davantage de l’au-delà, de la rencontre avec Dieu. Lorsqu’on évoquait les martyrs, il était très ému, au point que parfois il en avait les larmes aux yeux. On aurait dit qu’il s’attendait à quelque chose.
Un jour, lors d’une réunion restreinte, il nous a dit : «Je sens que mon heure approche. J’ai le cœur tranquille. J’ai fait tout ce que je pouvais faire. Et je suis prêt.» Ces mots m’ont profondément marqué. Ce n’était pas un discours dramatique, mais un état d’âme serein. Il ne parlait pas de la mort comme d’un drame, mais comme d’une rencontre attendue.
Ghassan Ben Jeddo : Avait-il des craintes, des préoccupations ?
Cheikh Naïm Qassem : Sa plus grande préoccupation c’était la continuité de la résistance. Il disait toujours : «Nous ne sommes pas éternels, mais la ligne de la résistance doit l’être.» Il répétait que notre responsabilité c’est d’assurer la pérennité du projet, de garantir que ceux qui viendront après nous poursuivront le chemin. Il a beaucoup travaillé en ce sens : sur la formation, l’éducation, l’encadrement, la confiance. Il n’a jamais été prisonnier de son ego ou de son poste.
Ghassan Ben Jeddo : Comment avez-vous réagi à la nouvelle de sa mort ?
Cheikh Naïm Qassem : J’étais anéanti. Pourtant, j’étais préparé, du moins en théorie. Mais lorsque la nouvelle est tombée, j’ai ressenti un vide immense. Sayyed Hassan n’était pas seulement un dirigeant. Il était un frère, un compagnon, un maître, un guide spirituel. Sa perte est incommensurable, même si nous devons continuer à avancer.
Ghassan Ben Jeddo : Certains ont dit qu’il vous considérait comme son successeur naturel, qu’il vous préparait à cela. Est-ce exact ?
Cheikh Naïm Qassem : Je n’aime pas aborder les choses sous cet angle. Le Hezbollah a une structure institutionnelle, une choura, des règles claires. Sayed Hassan ne m’a jamais désigné comme successeur. Ce genre de décision ne se fait pas selon des considérations personnelles. Oui, il me confiait beaucoup de responsabilités. Oui, il me consultait sur tout. Mais cela faisait partie de la dynamique de notre travail.
Ghassan Ben Jeddo : Depuis sa mort, comment le Hezbollah s’est-il organisé ? Avez-vous assuré la continuité sans heurt ?
Cheikh Naïm Qassem : Immédiatement après sa mort, la choura s’est réunie. Nous avons décidé de continuer le travail dans la même ligne, selon la méthode institutionnelle. Il n’y a pas eu de rupture, ni de crise. Tout était prêt pour assurer une transition ordonnée. C’est là une preuve de la force du Hezbollah : sa solidité organisationnelle, sa culture du collectif, sa clarté stratégique.
Ghassan Ben Jeddo: Nous nous étions déjà entretenus peu après le martyre du Sayed. Ensuite, les choses ont commencé à se clarifier. Nous ne savions pas alors que sayyed Hachem Safieddine avait été choisi comme secrétaire général. Mais dès les premiers jours, voire dès les premières heures, nous vous avons vu et reconnu, peut-être en tant que vice-secrétaire général, ce qui était logique.
Votre première apparition a été quelque peu marquante pour le public. Pour être honnête avec vous, même si sur le fond elle était sincère et forte, sur la forme, vous sembliez dans une situation anormale. Cela a suscité des réactions négatives chez certains, mais aussi du soulagement chez d’autres, simplement parce que vous étiez présent. Y a-t-il eu des coulisses particulières à cette première apparition ?
Cheikh Naïm Qassem : La première apparition a eu lieu le 30 septembre, soit trois jours après le martyre du Sayed. Comme j’étais vice-secrétaire général, et que le vice-secrétaire général assure l’intérim jusqu’à la désignation d’un nouveau secrétaire général, il était naturel que je prenne la parole, d’autant que nous n’avions pas encore pris de décision définitive.
Ghassan Ben Jeddo :Cette apparition, c'était une initiative de votre part ?
Cheikh Naïm Qassem :Oui, une initiative de ma part, en coordination avec sayed Hachem. Je lui ai dit que je pensais qu’il fallait s’adresser aux gens, car la situation était extrêmement difficile. On ne pouvait pas se taire. Il m’a dit qu’il était d’accord, que je devais effectivement parler. Voilà comment la décision a été prise. C’était difficile aussi avec les autres frères, car l’ambiance générale était très tendue.
Les frères m’avaient logé dans un appartement de trois pièces pour me protéger à cette période si particulière. Le Sayed gérait les affaires générales, et moi, les affaires politiques : j’exécutais ce qu’il me demandait. Mais après son martyre, mon devoir était de m’exprimer.
Nous nous sommes donc mis d’accord, moi et hajj Mohammad Afif ( lui aussi devenu martyr) pour qu’il envoie quelqu’un de spécialisé, qui serait le seul à savoir le lieu où je me trouvais. Les frères de la sécurité devaient l’escorter sur place. Ils m’ont proposé de m’emmener ailleurs pour l’enregistrement. J’ai accepté. Ils ont dit : «Demain matin, si Dieu le veut.» Mais à une heure du matin, pendant que je dormais, quelqu’un a frappé à la porte. Je me suis dit qu’il se passait quelque chose. Il m’a dit : «On va faire l’enregistrement maintenant.» J’étais surpris : «À cette heure ? Je dormais ! Laissez-moi au moins me réveiller, me laver le visage, prendre un quart d’heure.» Il m’a répondu : «Pas de problème, le caméraman est déjà là.»
Heureusement, j’avais préparé mes propos la veille, pensant que l’enregistrement serait le lendemain. Ils m’ont dit : «On va enregistrer dans la deuxième pièce.» C’était une petite pièce pas du tout prévue pour ça. J’ai dit : «Elle est trop petite !» Ils ont répondu : «Ne vous inquiétez pas, le caméraman sait gérer.»
Ghassan Ben Jeddo :Dans ce que vous avez appelé les «dix jours du séisme».
Cheikh Naïm Qassem :Oui, parce qu’entre le 27 et le 7 (octobre), nous avons essuyé coup sur coup plusieurs frappes. On n’arrivait même plus à suivre. Il fallait juste rassembler les morceaux, reconnecter les gens entre eux. D’autant plus que les moyens de communication habituels étaient devenus vulnérables et piratés. Mais, grâce à Dieu, nous avons pu gérer.
Ghassan Ben Jeddo :Ce qui s’est passé reflétait la difficulté extrême de votre situation. Ensuite, sayyed Hachem Safieddine est devenu aussi un martyr et vous avez assumé la responsabilité.
Une fois devenu secrétaire général, le plus grand défi pour vous personnellement a été la direction militaire. Vous êtes connu comme un homme politique brillant, un gestionnaire aguerri, un intellectuel, mais pas comme un homme de terrain militaire. Et voilà que soudain vous vous retrouvez à la tête de la direction militaire. Soyons francs: c’est vous qui dirigiez l’opération militaire, ou comme certains le disent, c’est la partie iranienne qui a pris en mains les opérations ? Qui prenait les décisions ? Qui donnait les ordres ?
Cheikh Naïm Qassem :Le secrétaire général du Hezbollah est aussi le président du Conseil du Jihad (conseil militaire). Donc, il est responsable de la gestion de l’action militaire. Une fois dans cette position, il fallait que je comprenne plus en détail, que je sois en contact étroit avec les responsables militaires, afin de pouvoir gérer. Je vais vous dire ce qu’un responsable m’a dit.
Ghassan Ben Jeddo :Un responsable militaire ?
Cheikh Naïm Qassem :Oui. Un Iranien, et un autre Libanais -mais pas du parti. Ils m’ont dit en privé, et d'autres ont parlé ailleurs. Ils m’ont dit : «Nous sommes surpris que vous arriviez à gérer une bataille militaire alors que ce n’est pas votre domaine.» Je leur ai dit : «Je vous pose une question : quels sont les éléments essentiels pour diriger un parti et une résistance ?»
Premièrement, des compétences de gestion ; deuxièmement, une conscience politique de ce que le parti veut et cherche à accomplir ; troisièmement, une expérience permettant une vision globale des capacités et de la situation du parti. J’ai tout cela : j’ai été membre du Conseil de la Choura avec le défunt sayyed pendant 32 ans, j’étais son adjoint, et tout passait par la Choura : les structures militaires, les noms des commandants, les décisions politiques…
Ghassan Ben Jeddo : Même les noms des commandants militaires ?
Cheikh Naïm Qassem :Oui, les commandants principaux, leurs adjoints, les chefs d’unités : tout cela était validé par la Choura. Même les grandes opérations militaires : bataille du Qalamoun, intervention en Syrie, riposte à «Israël», etc. Tout cela faisait l’objet de discussions et d’approbations.
J’ai dit à ce frère : «Le commandant n’a pas besoin de connaître la longueur exacte du canon ou la différence entre les types de drones ou de missiles. Ce sont les spécialistes qui lui proposent les options : frapper Haïfa, par exemple, de telle ou telle manière. Le secrétaire général décide alors de la meilleure stratégie. Il n’a pas besoin de connaissances techniques poussées.»
Notre parti est dirigé comme un véritable parti avec un secrétaire général à sa tête. Personne d’autre ne le dirige à notre place. Et depuis le premier jour, tout a été soumis à des décisions. Quand on frappe «Tel-Aviv», ce n’est pas un hasard. C’est une décision. Pareil pour la fameuse journée du «dimanche noir», le 24 novembre : 370 missiles, drones, etc., tout cela a été décidé.
Ghassan Ben Jeddo :Donc, frapper «Tel-Aviv» n’était pas une action spontanée ?
Cheikh Naïm Qassem :Rien n’est spontané. Tout repose sur des décisions. Bien sûr, nous bénéficions des conseils iraniens, que nous remercions pour leur aide, mais les décisions sont les nôtres.
Je me souviens qu’à la fin de mon troisième discours, les bombardements ont commencé immédiatement. Ce n’est pas non plus une coïncidence. Cela montre qu’il y a un plan.
Heureusement, tous les postes militaires étaient pourvus. Nous avons comblé rapidement les vides. Il y avait deux niveaux d’action sur le front : les combattants eux-mêmes, bien positionnés, sachant quoi faire même isolés ; et ceux qui arrivaient de l’arrière pour les soutenir, y compris des frappes d’artillerie. Jusqu’à la dernière minute, des combattants continuaient à rejoindre les positions.
Ghassan Ben Jeddo :Donc vous aviez encore un afflux de combattants ?
Cheikh Naïm Qassem :Oui, en renforts humains et militaires. Cela relevait de la direction militaire. Le secrétaire général coordonnait cela avec elle. Grâce à Dieu, nous avons pu accomplir notre mission.
Notre parti n’est pas structuré en compartiments «militaires» ou «politiques» distincts. Nous sommes un tout. Certains ont un rôle politique, d’autres militaire, mais nous faisons tous partie de la même entité.
Ghassan Ben Jeddo :Évidemment, je ne peux pas poser trop de questions militaires. Mais maintenant que vous dites que tout a été comblé, les postes, les manques… Peut-on rassurer l’environnement, le public, les partisans, que la résistance militaire du Hezbollah est prête, capable, dotée de ressources humaines et matérielles ?
Cheikh Naïm Qassem :Je vais être franc, et j’espère que le public comprendra :
Je ne parlerai pas des effectifs humains, ni des capacités militaires, ni des pourcentages de pertes ou de ce qui nous reste. Je me contenterai de dire une chose : nous réparons, nous nous rétablissons, et nous sommes prêts.
Ghassan Ben Jeddo :Vous êtes prêts maintenant ?
Cheikh Naïm Qassem :Bien sûr. Si «Israël» attaque, on ne va pas assister à cela en spectateurs… on se battra.
Ghassan Ben Jeddo :Et les rumeurs sur la destruction de 500 dépôts d’armes moyennes et lourdes ?
Cheikh Naïm Qassem :Ils parlent de ce qu’ils ont vu au sud du Litani. Le pays est vaste, grâce à Dieu. Je ne vais pas entrer dans les détails.
Ghassan Ben Jeddo :Le message est compris.
Cheikh Naïm Qassem :Je pense que les gens nous comprennent. Nous ne sommes pas du genre à ne pas nous préparer ou à rester silencieux face à l’oppression. Comme le dit le verset :
«Préparez contre eux ce que vous pouvez de puissance et de cavalerie pour terrifier l’ennemi de Dieu et le vôtre.»
C’est un devoir permanent.
Mais pourquoi parler de nos capacités ? Que l’ami, comme l’ennemi, le sachent : nous sommes un peuple du terrain, issu de cette terre à laquelle il appartient et il y est très attaché.
Ghassan Ben Jeddo : Vous avez évoqué tout à l’heure le célèbre jour du 24 novembre, qui fut en effet un grand jour. Mais pour être franc, cheikh, quand on revient à cette période, beaucoup s’attendaient à ce que la résistance poursuive la lutte encore longtemps. Et pourtant, elle a accepté un cessez-le-feu au bout de seulement trois jours. Le plus surprenant, et j’aimerais que vous en parliez franchement, c’est que lors de la dernière nuit, le Hezbollah a observé un silence militaire total, alors même qu’un accord avait été trouvé sur un cessez-le-feu. «Israël» a continué à bombarder jusqu’aux dernières minutes précédant 4h du matin, tandis que le Hezbollah est resté silencieux. Certains y ont vu une forme de faiblesse, d’autres une défaite, et certains y ont vu au contraire une grande sagesse de la part de la direction du Hezbollah. Où vous situez-vous ?
Cheikh Naïm Qassem : Je vais vous dire ce qui s’est réellement passé, et chacun pourra ensuite juger si c’était une erreur, une bonne décision, un acte de sagesse ou autre chose. Je ne veux pas m’ériger en juge.
Depuis le début, le sayyed disait que nous ne voulions pas la guerre. Avant même qu’elle n’éclate de la manière dont elle l’a fait, il y avait déjà des discussions sur un projet franco-américain de cessez-le-feu au Liban pour une durée de 21 jours, indépendamment de Gaza. Gaza aurait continué la lutte, car nous avions auparavant lié notre action à celle de Gaza. Ce projet fut transmis par un médiateur aux présidents Berry et Mikati. Puis, le 25 septembre, une déclaration conjointe franco-américaine confirma l’existence de ce projet. Les médias en parlaient, et les contacts étaient en cours.
Le Sayed avait informé le président Berry, par l’intermédiaire de hajj Hussein Khalil, que nous étions, en principe, favorables à un cessez-le-feu selon les termes proposés. Les détails pouvaient être discutés. Mais deux jours après l’annonce franco-américaine, le Sayed a été assassiné, et tout a basculé : nous sommes entrés dans la bataille que nous avons appelée plus tard «la bataille de ceux qui ont la détermination» (Ma‘rakat Ouli al-Ba’s). Le martyr hajj Mohammad Afif m’a d’ailleurs écrit après le martyre des deux sayyeds en disant : «Nous devons donner un nom à cette bataille.» Je lui ai dit qu’il avait raison. Il m’a proposé quelques noms, dont «Ouli al-Ba’s» (Ceux qui ont la détermination). J’ai aimé le terme, mais je l’ai trouvé un peu sec. Dans le Coran, on parle de «nos serviteurs dotés d’une grande détermination», alors on a opté pour Ma‘rakat Ouli al-Ba’s, inspiré du terme coranique.
Nous avons donc mené cette bataille en réponse à une agression. Nous n’avions pas décidé de faire la guerre. Dès qu’un cessez-le-feu devenait possible, nous étions prêts à y répondre favorablement. Car nous n’étions pas les initiateurs. Ensuite, nous avons empêché l’ennemi de progresser ou de réaliser ses objectifs. S’il avait voulu continuer la guerre une semaine, deux semaines, un mois ou plus, cela aurait seulement prolongé une guerre d’usure inutile. À la fin, il aurait quand même fallu un accord. Voilà pourquoi nous avons accepté le cessez-le-feu au moment où l’ennemi l’a aussi accepté.
Ce jour-là, Hochstein est venu avec une proposition qu’il a discutée avec le président Berry. Ce dernier nous l’a envoyée, avec ses propres observations. Nous y avons ajouté les nôtres et renvoyé le tout au président Berry. Il a ensuite mené les négociations avec Hochstein, ce qui a abouti à l’accord final.
Je tiens à préciser que cet accord a été approuvé à l’unanimité du conseil de la choura. J’ai moi-même mené les consultations, recueilli les observations des frères. Mieux encore, si vous interrogez aujourd’hui les combattants au front, ils vous diront que cet accord était juste : on était arrivés à une guerre d’usure sans but. C’est pourquoi nous l’avons accepté.
Ghassan Ben Jeddo : Pardonnez-moi, Cheikh. Deux choses ont été dites concernant les raisons de votre acceptation du cessez-le-feu. La première : que l’Iran vous a demandé instamment de l’accepter, ne voulant pas d’escalade régionale. Autrement dit, après votre action militaire spectaculaire du 24, vous auriez cessé vos opérations à la demande de Téhéran. La seconde : que votre commandement central à Beyrouth n’était pas vraiment en lien avec les combattants du sud, et que vous ignoriez à quel point ils réalisaient des exploits sur le terrain – ce qui vous aurait poussés à interrompre la lutte par erreur ou négligence. Que répondez-vous à ces deux versions, pour l’Histoire ?
Cheikh Naïm Qassem : La deuxième version me fait presque sourire : dire qu’il y aurait eu une déconnexion entre nous ! Dites-moi, monsieur Ghassan : comment expliquer alors qu’un cessez-le-feu entre en vigueur à 4h du matin, et que tout le monde s’y conforme, du front le plus avancé jusqu’aux dernières lignes ? Cela prouve qu’il y a une chaîne de commandement solide, qu’il y a une discipline stricte : on combat quand l’ordre est donné, on cesse le feu quand l’ordre est donné. Donc cette théorie ne tient pas.
Quant à l’idée que l’Iran nous aurait demandé d’arrêter, ce n’est pas vrai. La décision a été la nôtre. Oui, nous avons informé les Iraniens que nous allions agir de telle ou telle manière – ils ont été mis au courant. Mais jamais ils ne nous ont donné d’ordre ou même demandé quoi que ce soit. C’est une décision purement libanaise. Et je vais même plus loin : cet accord a été approuvé par l’État libanais, via des négociations indirectes, après que nous, Hezbollah et Amal, ayons exprimé une position commune favorable à l’accord.
Ghassan Ben Jeddo : Parlons de l’Iran. Votre relation avec la République islamique d’Iran est connue, elle est organique, structurelle, idéologique. Vous ne la cachez pas – au contraire, vous en êtes fiers. Et de son côté, l’Iran est également fier de sa relation avec vous. Pourtant, depuis l’assassinat de sayyed Hassan Nasrallah, certaines rumeurs ont circulé selon lesquelles des malentendus seraient apparus dans votre relation avec l’Iran, voire que certains membres de votre base ou vos sympathisants seraient en colère, estimant que l’Iran vous aurait abandonnés, en ne répondant pas à l’assassinat du sayyed, ni en aidant suffisamment à la reconstruction. Qu’en dites-vous ?
Cheikh Naïm Qassem : Lorsque le Déluge d’Al-Aqsa a commencé à Gaza, nous avons pris la décision de soutenir cette action, en fonction de nos moyens. Certes, au début, certains Palestiniens ont estimé que notre soutien n’était pas suffisant. Mais ils ont fini par comprendre. Quant à l’Iran, en dehors de la réponse qu’il a menée à travers l’opération de « La promesse honnête» (al-Wa‘d al-Sadiq), où il a frappé deux fois l’entité israélienne, il a estimé qu’une implication directe aurait déclenché une guerre avec les États-Unis. Cela aurait permis à «Israël» de se retirer, laissant les Américains combattre à sa place. C’est pourquoi l’Iran a préféré ne pas intervenir militairement, mais elle a continué à fournir son soutien financier, militaire, politique, médiatique, bref elle a maintenu son soutien sous toutes ses formes. C’est d’ailleurs ce soutien qui nous permet de tenir, nous et l’ensemble de l’axe. Et cela est pris en compte.
Est-ce que le soutien ne peut être que militaire direct ? Bien sûr que non. Nous n’avons jamais demandé à l’Iran d’intervenir militairement. Nous savons qu’elle fait tout ce qu’elle peut. Et je vous dis en toute clarté : l’Iran a fait tout ce qu’il fallait, et même plus. Elle ne nous a jamais laissés tomber. Elle continue encore aujourd’hui. Que Dieu la récompense, c’est tout ce que nous demandons. Le fait qu’elle ne soit pas intervenue directement ne veut pas dire qu’elle n’a pas soutenu. Le soutien a plusieurs formes, et l’Iran a apporté la sienne – et elle nous a été très utile.
Ghassan Ben Jeddo : Si je résume, Cheikh, il me semble comprendre que vous considérez que la pérennité du régime de la République islamique d’Iran, de sa stratégie, de son soutien, est en soi un objectif central. Et que sa chute porterait atteinte à tous ses alliés.
Cheikh Naïm Qassem : Absolument. Tant que la source reste intacte, les ruisseaux, même endommagés, peuvent être réparés. Mais si la source se tarit, tout s’effondre. Je peux vous dire que l’imam Khamenei suivait quotidiennement la situation à Gaza et au Liban. Il recevait des rapports des Gardiens de la Révolution, des services de sécurité, et même des médias. Il était très attentif, et encourageait toujours ses responsables : «Soutenez-les, accompagnez-les, donnez-leur ce dont ils ont besoin.» Que pourrait-on espérer de plus ?
Ghassan Ben Jeddo : D’autant que, pour être juste, ceux qui connaissent bien la politique iranienne savent que leur stratégie est d’éviter l’escalade dans la région. Ils ne veulent pas de guerre régionale. On dit même que la dernière visite du martyr Qassem Soleimani à Bagdad, juste avant son assassinat, visait à transmettre un message clair au Premier ministre Adel Abdel Mahdi. Ce message était destiné à l’Arabie saoudite : celui d’un accord stratégique de paix. Les Américains le savaient, et ils ont donc commis leur acte, en assassinant le général Soleimani.
Après le cessez-le-feu, cheikh, certains disent que le coup le plus dur porté à l’axe de la résistance – et à vous personnellement, en tant que secrétaire général du Hezbollah – a été la chute du régime syrien. Cela aurait été le coup fatal porté au projet d’«unité des fronts». Quelle est votre lecture de la situation actuelle ? Et que pensez-vous du nouveau pouvoir transitoire en Syrie, avec Ahmad al-Chareh à sa tête ?
Cheikh Naïm Qassem : La chute du régime syrien est incontestablement une perte pour l’axe de la résistance, car la Syrie était un point de passage pour le soutien militaire…
Ghassan Ben Jeddo : Une perte pour tout l’axe ou seulement pour le Hezbollah ?
Cheikh Naïm Qassem : Pour tout l’axe.
Ghassan Ben Jeddo : Y compris pour la Palestine et Gaza ?
Cheikh Naïm Qassem : Bien sûr ! Principalement pour la Palestine et Gaza, car le cœur du projet, c’est bien la Palestine. Quel est notre drame dans la région ?
Ghassan Ben Jeddo : Concrètement, la chute du régime syrien a-t-elle eu un impact sur Gaza ?
Cheikh Naïm Qassem : Oui, sans aucun doute. Car le régime syrien, tel qu’il était, soutenait la résistance, permettait le passage de combattants palestiniens, offrait des facilités. Après sa chute, tout cela s’est arrêté. Chaque composante de l’axe a perdu quelque chose, chacune à sa mesure. Dire que l’axe n’a pas perdu serait faux. La direction politique de ce régime était tournée contre «Israël».
Aujourd’hui, avec la nouvelle situation, nous avons dit dès le départ que nous n’avions rien à voir avec les affaires intérieures syriennes. Nous espérons qu’un système politique indépendant, équilibré, représentatif de toutes les composantes, pourra voir le jour – et qu’il sera opposé à «Israël», même s’il ne prend pas les armes contre cette entité. Ce serait déjà bien s’il lui est opposé.
Mais pour l’instant, l’avenir de la Syrie reste flou. Les assassinats de milliers d’Alaouites et d’autres par des groupes liés au régime sont une menace sérieuse. Et nous ne savons pas encore quelle forme prendra le futur régime. Sera-t-il représentatif ? Ou monopolisé par une seule force qui marginalisera les autres communautés et partis ? Ce n’est pas encore clair.
Les signaux de normalisation des relations avec «Israël» sont très dangereux. Nous pensons que la Syrie ne doit pas aller dans cette voie. Mais nous avons confiance dans le peuple syrien. Je pense qu’il ne l’acceptera pas. Comment cela se traduira-t-il ? Cela dépend de lui, pas de nous. Mais nous sommes contre la normalisation. Nous l’avons dit dès qu’il en a été question pour certains pays arabes.
Et si quelqu’un croit qu’en normalisant les relations avec Israël, il obtiendra la paix, il se trompe. Le régime syrien actuel n’a rien fait contre «Israël», et pourtant celui-ci a pris le contrôle de 600 km² dans le Golan et la région de Quneitra. En même temps, il a détruit toutes les capacités de l’armée syrienne. Les attaques israéliennes continuent, leurs exigences ne cessent jamais. «Israël» est une entité expansionniste, insatiable, criminelle, capable de commettre des génocides, avec à ses côtés le tyran suprême : les Etats-Unis. Qu’est-ce qui peut arriver dans ce contexte ? J’espère que la Syrie réussira à mettre en place un pouvoir pluraliste, opposé à «Israël». Même s’il ne prend pas les armes, il ne faut pas qu’il normalise ses relations avec cette entité. Attendons de voir.
Ghassan Ben Jeddo : Êtes-vous contre la normalisation théoriquement ou concrètement ? Autrement dit, êtes-vous opposé à la normalisation en tant que principe et position, ou bien cela signifie-t-il que vous seriez prêts à vous engager sur le terrain syrien pour empêcher cette normalisation en soutenant des groupes armés contre «Israël» ?
Cheikh Naïm Qassem : Non, nous sommes contre la normalisation sur le plan du principe. Mais intervenir concrètement pour changer la position du régime syrien ? Cela ne nous concerne pas.
Ghassan Ben Jeddo : Vous n’êtes lié à aucun groupe actuellement qui se réclame de la résistance en Syrie ?
Cheikh Naïm Qassem : Non, pas du tout. Même ceux qui se donnent aujourd’hui le nom de «résistance» ou celui de «Ouli al-Ba’s» (Ceux qui ont la détermination) et d’autres encore, nous n’avons aucun lien avec eux. Peut-être qu’ils aiment ce nom ou quelqu’un l’a choisi en s’inspirant de faits précis, mais ce n’est pas notre combat en Syrie, nous n’avons pas de projet de résistance là-bas. De plus, je vous dis que dès le début, quand il y a eu des problèmes dans la région du Hermel, et qu’on a essayé d’y mêler le nom du Hezbollah, nous avons contacté l’armée libanaise pour lui dire qu’il s’agit d’un territoire libanais. Des combattants tentaient d’y pénétrer, mais nous n’étions pas impliqués, car nous n’avons pas l’intention de combattre l’autre camp. L’armée est intervenue, nous nous sommes retirés, les combattants aussi. Le long de la frontière, c’est la responsabilité de l’armée libanaise. Et nous n’avons rien à voir avec ce qui s’est passé sur le littoral syrien, même s’ils ont essayé d’y mêler notre nom. En tout cas, à l’époque, j’ai dit que nous n’étions pas concernés. Ni par la nature du régime syrien, ni par la manière dont se forme la résistance là-bas, s’il y en a une ou non. Pour nous, il s’agit donc d’une question politique que nous abordons en tant que position de principe, mais la responsabilité revient au peuple syrien : c’est lui qui prend ses décisions.
Ghassan Ben Jeddo : Vous n’avez eu aucun contact direct ou indirect avec la nouvelle administration syrienne, ni par intermédiaire, ni autrement ?
Cheikh Naïm Qassem : Il y a eu des tentatives limitées de contact indirect entre des forces sur le terrain, mais cela n’a pas abouti à un résultat clair.
Ghassan Ben Jeddo : Pouvez-vous être plus précis ?
Cheikh Naïm Qassem : Dès le début des événements en Syrie et la chute du régime, certains de nos frères connaissaient des membres d’autres groupes. Il y a eu des discussions sur ce qu’on pourrait avoir comme relations à l’avenir, sur la nature possible des liens, ce qu’on pourrait négocier, mais cela n’a pas dépassé ce stade. Les contacts en sont restés là.
Ghassan Ben Jeddo : Que pensez-vous de ce qu’on dit à propos d’une possible utilisation du nouveau régime syrien contre le Hezbollah ? Est-ce que vous y croyez, est-ce que cela vous inquiète ? Ou vous l’écartez franchement ?
Cheikh Naïm Qassem : Nous avons le droit d’être prudents. Nous recevons des rapports de certains pays étrangers et arabes disant que cette idée existe : qu’il y aurait quelqu’un qui voudrait utiliser le nouveau régime syrien pour créer des troubles au Liban. J’espère que ce ne sont que des chimères ou des idées, et que cela ne deviendra pas une réalité. Mais nous devons rester vigilants. Le Liban doit faire attention à certains pays qui parlent bien quand ils sont au Liban mais ne lui apportent rien en réalité. Ils lui vendent des paroles, alors qu’en même temps ils ont l’espoir d’utiliser la Syrie contre le Liban, surtout que la Syrie a toujours eu une certaine influence sur le Liban, parfois au service d’agendas étrangers et à d’autres moments pour servir des agendas syriens. Il y a clairement aujourd’hui des gens qui pensent que cette expérience pourrait se répéter, mais sous une autre forme.
Ghassan Ben Jeddo : Cette menace viendrait-elle de l’intérieur ou de l’extérieur de la Syrie ?
Cheikh Naïm Qassem : De l’extérieur de la Syrie.
Ghassan Ben Jeddo : Des forces arabes, régionales ?
Cheikh Naïm Qassem : Des forces arabes et internationales, je ne veux pas les nommer, mais j’espère que ce ne sont que des idées sans application. J’appelle les responsables libanais et les forces politiques à être vigilants face à ceux qui leur font des déclarations positives, mais ne les aident pas, et nourrissent de telles idées.
Ghassan Ben Jeddo : Passons à la scène intérieure libanaise maintenant, Cheikh, après tous ces mois d’expérience concrète, franchement et honnêtement, comment évaluez-vous le rôle, la position et la personnalité du président de la République, le général Joseph Aoun ?
Cheikh Naïm Qassem : Nous avons exprimé à plusieurs reprises notre estime pour lui, suite à ses positions. Dès le début, le président Joseph Aoun a été clair, rappelant toujours qu’«Israël» doit se retirer du Liban, que les prisonniers doivent être libérés, et qu’il faut engager la reconstruction – des principes que nous partageons et que nous considérons comme des bases libanaises et nationales. Quant aux armes du Hezbollah, pour ceux qui en parlent, nous proposons un dialogue national sécuritaire et stratégique qui pourra aboutir à des résultats. Le président subit beaucoup de pressions, on lui dit d’utiliser l’armée, contre la résistance, mais il sait que ce serait une discorde qui ne mènerait à rien.
Ghassan Ben Jeddo : Qui le presse ? Y a-t-il d’autres que les Américains qui le font?
Cheikh Naïm Qassem : Les Américains, et aussi, permettez-moi de ne pas citer, certains Etats arabes.
Ghassan Ben Jeddo : Il y a donc des pressions venant de cette direction ?
Cheikh Naïm Qassem : Oui. Mais nous respectons le président. Vous ne me poserez pas de question sur le président Berry, car on sait qu’il n’a jamais laissé passer une occasion de défendre la fierté, l’unité chiite, nationale et islamique, et de demander le retrait d’«Israël» du Liban. Toutes ces discussions sont vaines tant qu’«Israël» n’a pas quitté le territoire libanais.
Ghassan Ben Jeddo : Pourtant, que pensez-vous, selon votre estimation, de la capacité de résistance du président Berry face aux pressions amicales arabes, américaines et occidentales au sujet du Hezbollah ?
Cheikh Naïm Qassem : La position actuelle n’est pas contre le Hezbollah, mais contre les chiites. C’est contre le Liban. Ceux qui pensent que cette pression américano-arabe est uniquement contre le Hezbollah ne comprennent pas la situation. Que demandent ceux qui exercent ces pressions ? Ce que veut «Israël» : affaiblir le Liban. Affaiblir le Hezbollah, c’est affaiblir le Liban. Que reste-t-il au Liban comme force, si le Hezbollah est affaibli ou neutralisé ? Il y a certes l’armée, mais il s’agit d’une force dotée de quelques moyens, qui même s’ils s’amélioraient ne lui permettraient pas d’avoir une vraie capacité défensive. Et puis une résistance qui forme un socle de soutien important pour l’armée, ce qu’on appelle l’équation tripartite «armée-peuple-résistance». C’est cela la force du Liban aujourd’hui. Si le Liban était faible, qui en parlerait ? Personne. Donc la position de Berry tient compte du fait que la résistance est menacée, que les chiites sont menacés, que le Liban est menacé.
Ghassan Ben Jeddo : Pourquoi les chiites seraient-ils menacés ?
Cheikh Naïm Qassem : Parce que certains à l’intérieur du Liban disent : «Nous pouvons faire des élections et fonctionner sans la communauté chiite.» Ces gens-là doivent bien comprendre qu’ils exposent ainsi leurs propres familles. Car une fois qu’on cherche à exclure une communauté, nul ne sait jusqu’où ça peut aller. Nous, nous sommes présents dans les familles du sud, dans leurs villages, dans ces zones occupées par «Israël». S’il n’y a plus de force au Liban, «Israël» avancera. Qui seront les plus affectés ? Les chiites, car ce sont eux qui sont majoritaires dans ces régions. Il y a aussi des musulmans et des chrétiens, mais en nombre moindre. Affaiblir le Liban et le Hezbollah constitue donc bel et bien une menace pour les chiites.
Aujourd’hui, on parle de vouloir obtenir dans le nouveau Parlement, ne serait-ce qu’un seul député chiite, qui ne serait ni Amal ni Hezbollah, pour l’utiliser contre ces deux formations. Personne ne veut frapper uniquement le Hezbollah. La pensée de Berry est juste : la menace vise les deux formations, car nous sommes une seule famille, sur une même terre, une même résistance, avec les mêmes épreuves. Quand on compte les martyrs, les blessés, les familles, peut-on distinguer ceux d’Amal de ceux du Hezbollah ? Non, sauf s’ils le disent eux-mêmes, car ils viennent de cette terre, de ce peuple.
Pour moi, Berry est responsable de cette mission. Il agit directement, pas pour nous, ni en notre nom, mais pour nous et pour lui, pour le groupe et pour le peuple.
Ghassan Ben Jeddo : Pensez-vous vraiment que les chiites du Liban sont aujourd’hui menacés dans leur existence même ?
Cheikh Naïm Qassem : Oui, s’ils ne restent pas fermes et unis, et si les autres ne les traitent pas avec respect, essayent d’attiser la discorde et multiplient les pressions. Oui, la force est dans les convictions. Je rappelle que quand on a voulu construire le « nouveau Liban », les premiers à défendre ces choix étaient Amal et Hezbollah. L’élection du président Joseph Aoun en est une preuve. Qui sait ce qui se serait passé si nous n’avions pas accepté ? Nous avons accepté parce que nous voulons construire l’État. Nous sommes partenaires dans la construction de l’État. Certains travaillent contre cela, craignent notre force, ne veulent pas de nous. Alors que nous sommes raisonnables, nous donnons à tous, nous prenons juste notre part pour faire avancer le pays. Mais pour être clair, je dois leur dire de ne pas nous sous-estimer : pour nous, l’honneur, la dignité et la fierté sont la vraie réussite. Nous ne cherchons ni des fonctions ni de l’argent ni des positions étrangères et des avantages. Pour nous, l’essentiel est la dignité humaine, la foi, la morale et l’humanité avant tout.
Ghassan Ben Jeddo : Cheikh, ce que vous dites est nouveau et important. En entendant que d’autres parties vous s’opposent clairement à vous, réclament votre désarmement, veulent vous faire renoncer à beaucoup de choses, on pensait parler d’un parti armé, résistant. Mais aujourd’hui, le secrétaire général du Hezbollah dit que les chiites sont menacés dans leur existence même. Ce n’est pas anodin.
Je voudrais donc parler maintenant des autres partis au Liban, si vous le permettez.
Cheikh, nous parlions, juste avant la pause, de votre regard sur les présidents et de ce que vous avez dit de manière assez surprenante, à savoir que vous considérez que les chiites du Liban sont menacés d’une disparition existentielle. Dans ce cadre, avez-vous une nouvelle vision, un nouveau plan, une approche intellectuelle ou politique renouvelée pour un dialogue plus profond avec les autres partis ici au Liban ? Parce qu’en suivant vos discours depuis des années, honnêtement, on constate une ouverture, une volonté de communication. La situation a changé aujourd’hui. Par exemple, je dis oui, les Forces libanaises sont un parti qui affiche ouvertement une position hostile vis-à-vis du Hezbollah, mais c’est un parti libanais, avec une force et une assise dans la «rue chrétienne». Y a-t-il une possibilité de dialogue avec les Forces libanaises pour construire quelque chose de nouveau ?
Cheikh Naïm Qassem : Je veux d’abord clarifier ce que j’ai dit au sujet de la menace existentielle, pour que certains ne croient pas que nous vivons une crise d’extermination. Il y a une différence entre dire qu’il existe un danger existentiel et dire que nous sommes faibles au point que quelqu’un pourrait nous briser le cou. Ne vous méprenez pas : c’est notre analyse, un constat, mais que ceux qui pensent à ce genre de scénario oublient cette idée, car Dieu merci nous sommes soudés, forts d’abord grâce à notre foi. Nous savons que notre résistance et ce que nous avons donné jusqu’à présent, sont la carte qui nous permet de rester debout comme patriotes libanais, capables d’agir pour l’intérêt du Liban. Le Liban sans nous ne sera pas le même, et avec nous le Liban sera meilleur. C’est notre espoir, inchallah.
Quant à la relation avec les Forces libanaises, tout observateur voit que celles-ci ont fait de la lutte contre nous leur occupation principale, jour et nuit. Elles défendent toutes les positions qu’Israël souhaite. Je ne les accuse pas d’être avec Israël, mais je ne peux que constater au minimum une convergence d’idées. En même temps, les Forces libanaises ne laissent aucune place à la réconciliation. Comment voulez-vous que je parle de dialogue avec un parti libanais qui ne fait que prononcer des déclarations qui ferment toutes les portes menant à un contact possible ?
Ghassan Ben Jeddo : Faites le premier pas, Cheikh. Même si les Forces libanaises n’ouvrent pas les portes, vous pouvez, vous, initier cela. Regardez, le parti Kataëb. Il a toujours eu une position opposée à la vôtre, mais cheikh Sami Gemayel a tenu des propos importants à votre égard lors de l’élection du président Joseph Aoun. Il était positif.
Cheikh Naïm Qassem : Avec les Kataëb, nous n’avons aucun problème pour dialoguer. Il y a eu plusieurs rencontres discrètes, loin des médias, qui ont duré deux ou trois heures, puis elles se sont arrêtées. Une année passe, puis l’un ou l’autre souhaite renouer. Nous organisons deux ou trois séances et ça s’arrête à nouveau. Pour l’instant, je peux vous dire qu’il n’y a aucun problème pour dialoguer avec les Kataëb, et nous ferons des efforts pour cela, sans honte, en donnant et en prenant.
Ghassan Ben Jeddo : Et avec les Forces libanaises, vous n’êtes pas prêts à initier ?
Cheikh Naïm Qassem : Pour l’instant, laissons les Forces libanaises de côté. Voyons d’abord quelque chose de plus acceptable à avaler.
Ghassan Ben Jeddo : En ce qui concerne le Courant du Futur, avec cheikh Saad Hariri, son leader qui est hors du pays et ne s’implique pas aujourd’hui dans la politique, avez-vous la possibilité d’une approche plus avancée pour le dialogue ?
Cheikh Naïm Qassem : Nous sommes en contact avec le Courant du Futur, il y a des rencontres occasionnelles avec des personnalités de ce Courant. Il n’y a aucun problème entre nous. Mais vous parlez de relations officielles et étendues avec un courant qui n’a pas encore réussi à constituer une structure politique efficace. Quand Saad Hariri était au pays, nos contacts et nos, réunions étaient nombreux. Il y avait une véritable coordination. Nous l’appelions d’ailleurs «M. le Premier ministre» car nous considérions que la relation avec lui était fondamentale. Même maintenant, il n’y a pas de problème avec le Courant du Futur.
Ghassan Ben Jeddo : Bien sûr, il n’ y a aucun problème. Le but de ces questions détaillées, Cheikh, est d’arriver à une idée précise : le Hezbollah, avec ses capacités, ses moyens et les défis qu’il affronte, est un parti national libanais authentique qui mène le combat politique malgré les problèmes de reconstruction, les priorités sécuritaires et l’agression israélienne. Le Hezbollah a-t-il une approche intellectuelle et politique, en plus de sa relation avec les autorités, a-t-il des relations avec les autres partis politiques ? Je pose ces questions pour éviter que les doutes s’incrustent dans les esprits, non seulement chez les leaders, mais aussi au sein des bases populaires de tous les camps.
Cheikh Naïm Qassem : Je pense que dans un mois environ, la scène politique au Liban verra montrera un mouvement large et global de notre parti, en direction de tous les acteurs internes. Nous travaillons donc à la coordination, à l’organisation, à la répartition des rôles et des tâches. Je vous dis aussi que nous avons chargé plusieurs comités d’étudier les stratégies d’action pour la prochaine étape. Cette nouvelle phase doit tirer des leçons des points positifs et négatifs, voir ce qu’il faut ajuster dans les méthodes et les modes d’action, mais nos principes restent constants. Je crois que ces stratégies prendront environ deux mois pour être prêtes, puis elles impacteront le champ éducatif, médiatique, culturel, politique, etc., chacun selon son domaine. Donc, nous avons un vaste chantier sur lequel nous travaillons, inchallah.
Ghassan Ben Jeddo : C’est une nouveauté : vous vous orientez vers un horizon intérieur politique plus avancé, si on peut dire ainsi. Est-ce que cela vaut aussi pour les forces extérieures influentes au Liban ? Je pense aux pays du Golfe, l’Arabie Saoudite, les Émirats, à des pays régionaux comme la Turquie. Cela les concerne-t-il aussi ?
Cheikh Naïm Qassem : Vous remarquez que les pays arabes, surtout ceux du Golfe, tiennent beaucoup aujourd’hui à avoir une présence au Liban. Nous avons accueilli cela favorablement. Nous faisons partie du gouvernement, et nous n’avons aucun problème avec toutes les relations arabes sur la base de la réciprocité. Autrement dit, nous ne voulons pas qu’ils fassent du Liban un pays sous tutelle, mais ils sont les bienvenus dans la reconstruction du Liban, dans les relations avec le Liban. Nous voulons tirer des avantages et en donner. Nous accueillons cela positivement, il n’y a pas de problème, ni avec les pays arabes, ni avec la Turquie, ni avec personne. D’ailleurs, avec la Turquie il y a des contacts, avec certains pays arabes aussi, et pour d’autres peut-être qu’il y a quelques réticences, une certaine distance. Mais c’est de leur part, plus que de la nôtre, mais en tout cas...
Ghassan Ben Jeddo : Réticence ? Distance ? Ca veut dire aussi inquiétude ? Prudence ?
Cheikh Naïm Qassem : Cela veut dire qu’on évite l’autre, qu’on ne s’en approche pas. Nous sommes prêts à entretenir des relations avec tous les pays et tous les peuples, sauf avec les Etats-Unis et «Israël». Arabes ou non, nous sommes ouverts et prêts. Mais évidemment nous ne pouvons pas bâtir une relation avec un État qui nous classe dans la catégorie des terroristes et nous combat. Il faut pour pouvoir nouer un dialogue avec lui, procéder à des arrangements préalables.
Ghassan Ben Jeddo : Avant le dernier axe, qui porte sur la nouvelle identité stratégique du Hezbollah, concernant la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban), où se situe le Hezbollah ? Quelle est son approche sur la FINUL ? Sa présence, sa continuation, ses prérogatives, son rôle ? On parle d’une volonté «israélienne» d’expulser la FINUL, des heurts récents entre des habitants du Sud et des soldats de la FINUL ont eu lieu. Comment voyez-vous ce dossier brûlant ?
Cheikh Naïm Qassem : Nous sommes pour le maintien de la FINUL au Liban, à condition qu’elle respecte son mandat. Nous ne sommes pas pour que la FINUL entre de son propre chef dans des propriétés privées ou dans les villages, sans avoir obtenu une autorisation de l’armée libanaise ou coordonné avec elle. Cela devrait se passer normalement. Je ne parle pas ici de notre évaluation de la FINUL, nous avons peut-être des remarques sur son action, mais nous n’allons pas insister sur cela aujourd’hui. Nous disons que nous sommes pour une prolongation d’un an de son mandat, dans ses prérogatives et sa mission actuelles. Quant aux problèmes avec les habitants, c’est parce qu’ils dépassent parfois leur mandat. Nous espérons qu’ils n’en feront pas trop, qu’ils demanderont l’autorisation à l’armée et coordonneront leurs déplacements avec elle. Ce qu’ils veulent, qu’ils l’obtiennent, mais en respectant leur mandat.
Ghassan Ben Jeddo : À part les enquêtes internes concernant quelques violations ici et là au sein du Hezbollah, est-ce que celui-ci a lancé ou va le faire, un chantier interne global ? Intellectuel, politique, pour définir les contours de la stratégie du parti au Liban et dans la région ?
Cheikh Naïm Qassem : Laissez-nous finir l’étude des stratégies, inchallah on fera une interview pour en parler.
Ghassan Ben Jeddo : Vous avez commencé ?
Cheikh Naïm Qassem : Quand on étudie les stratégies de travail, cela signifie étudier les points faibles, les points forts, les opportunités, les plans futurs, faire des évaluations. Tout cela produit des lectures et des ajustements.
Ghassan Ben Jeddo : Une question troublante ou désagréable : Cheikh : imaginez-vous le Hezbollah sans armes ?
Cheikh Naïm Qassem : La question est mal posée, car le Hezbollah est un projet, une doctrine, une ligne. Cette ligne a le droit de disposer de ce qui la soutient et réalise ses objectifs. Je refuse l’approche qui dit que le Hezbollah a des armes ou non. Non, la question des armes est à discuter à part, quand on parle des armes, pas quand on parle du Hezbollah. Personne ne peut discuter du Hezbollah car c’est une entité établie, résistante, avec une base populaire, le plus grand parti du Liban. Qui discute de son existence ? Personne. Est-ce que ce sont les armes qui le maintiennent ? Non, ce ne sont pas les armes qui le font exister. Mais certains acceptent le désarmement comme moyen d’affaiblir le Liban. Nous voyons les armes différemment : elles sont la raison pour laquelle le Liban est fort. Nous n’acceptons pas qu’il s’affaiblisse. Peut-être certains acceptent un Liban faible, c’est leur affaire. Pas nous. Notre slogan est un Liban fort, et un Liban fort avec sa résistance, son armée et son peuple. C’est notre slogan. En politique, chacun peut exposer son point de vue, on verra.
Ghassan Ben Jeddo : Cette question fait-elle l’objet d’un débat interne ? Cette approche que vous présentez maintenant et que le Hezbollah défend depuis longtemps, doit-elle être repensée ?
Cheikh Naïm Qassem : Toute approche interne sur ce sujet...reste interne.
Ghassan Ben Jeddo : Que répondez-vous à ceux qui disent que le maintien d’un Hezbollah armé nuit au Liban, à son tourisme, à sa stabilité, à ses relations arabes et internationales, à l’aide à la reconstruction...
Cheikh Naïm Qassem : On leur répond que ce Hezbollah-là, c’est lui qui a fait sortir «Israël» du Sud, qui a libéré les 1100 km² restants depuis 1985, quand les «Israéliens» se sont retirés de Beyrouth et de Saïda, en 2000. C’est le Hezbollah qui a expulsé Israël du Liban sans condition, et qui a assuré la paix et la sécurité depuis. De 2000 à 2023 — ou plutôt de 2006 à 2023 — soit 17 ans après la guerre de juillet, le pays était économiquement dynamique parce qu’«Israël» était soumise à une force de dissuasion et il ne pouvait rien faire. Si on fait un calcul simple : le Hezbollah est né en 1982, on est en 2023, plus de 40 ans d’histoire avec d’énormes réalisations qui ont remis le Liban debout et attiré l’attention du monde entier. Et voilà que quelqu’un vient me dire : «Je veux discuter si vous devez continuer à exister ou non». Qu’avez-vous accompli pour décider à notre place? Quelles sont vos réalisations ? Vos idées ont provoqué des divisions, fait venir des puissances étrangères au Liban, «Israël» au Liban, l’occupation du Sud, la création de l’armée du Liban-Sud, toutes ces catastrophes, l’arrivée de Daech... Ces idées ont-elles préparé l’avenir ? Non, ce n’est pas cela l’avenir. Moi, je vous présente une expérience, vous aussi. On les compare, on discute, on peut trouver un accord qu’on appellera national, ou aboutir à un désaccord national. Tant mieux. Vous restez sur votre opinion, moi sur la mienne.
Ghassan Ben Jeddo : Mais ce désaccord national, pour l’autre camp, menace le Liban en tant qu’État. Il ne s’agit pas seulement d’un désaccord entre deux partis.
Cheikh Naïm Qassem: Le Liban État n’a été menacé que quand ces parties ont déclenché des guerres et des divisions. Le Liban n’a tenu debout que grâce à la résistance. Je rassure : la résistance n’est pas une menace pour l’État, mais ce sont eux la menace. Vous dites que c’est un pays démocratique. Or, dans un pays démocratique il n’y a pas toujours de consensus. Nous voulons un consensus sur la survie du Liban. Vous me dites : «Non, pas avec vous». Qui êtes-vous pour me dire ça ? Le Liban est-il resté debout grâce à vous? Si on vous laissait faire, il serait tombé.
Ghassan Ben Jeddo : C’est votre partenaire national, Cheikh.
Cheikh Naïm Qassem : Aucun problème. Mais il y a des partenaires qui ne savent pas travailler ou qui trichent. Pourquoi il y a des prisons ? Parfois, on met son propre enfant en prison parce qu’il ne sait pas travailler. Alors, qu’ils sortent de cette histoire de consensus national : ce n’est pas une cape qui doit être fabriquée à leur mesure, c’est une cape qui doit être à la mesure du pays. Qui a le plus grand rôle dans la définition du pays? Celui qui a fait le sacrifice.
Ghassan Ben Jeddo : A propos de consensus national, parlons du consensus au sein du Hezbollah. En toute franchise, Cheikh, que signifie cette histoire d’«ailes» au sein du Hezbollah, qui circule dans les médias et dans certaines sphères ? Vous avez des ailes, des factions, des groupes, tel conduit par untel, tel par un autre, etc.
Cheikh Naïm Qassem : Vous me posez cette question et je pensais à des ailes d’oiseaux. Normalement, quand on voit des ailes, on les voit voler. Moi, je n’ai jamais vu d’ailes. Je rassure tout le monde : au sein du Hezbollah, tout est harmonieux, l’entente est totale. Même s’il y a des divergences sur certains sujets, le parti est unifié, la direction est unique. Personne ne prétend que tout le monde est d’accord sur tout, mais je peux affirmer qu’il y a une direction militaire unique, une direction politique unique, le conseil de consultation se réunit et décide sur tout, la discipline est là, ainsi que l’engagement. Nous avons participé aux élections municipales de façon remarquable avec une direction unifiée. Aujourd’hui, on n’entend personne faire des déclarations en dehors de la ligne tracée par la direction. Où sont ces gens qui tiennent un autre langage, ceux qui forment ces fameuses ailes dont vous parlez ? Nulle part. Je vous rassure, ces ailes n’existent pas, elles sont fabriquées par ceux qui essaient de les inventer.
Ghassan Ben Jeddo : Cheikh Naïm Qassem, avec votre modestie et votre humilité, tout le monde savait que vous n’aviez jamais pensé à devenir secrétaire général du Hezbollah ni travaillé pour cela, et pourtant vous l’êtes aujourd’hui, et avec mérite, si je peux me permettre. Cheikh, ces paroles ne sont pas pour les Libanais, ni pour votre environnement, mais pour l’opinion publique, pour les personnes libres qui nous regardent et qui veulent savoir la trajectoire et la situation du Hezbollah. Cheikh Naïm Qassem, secrétaire général du Hezbollah, quelles sont les priorités de votre formation, en tant que partie de la lutte internationale et arabe, pas seulement libanaise ?
Cheikh Naïm Qassem : Ma priorité première est de préserver la ligne et les principes fixés par «le Seigneur des Martyrs», car c’est la base même du Hezbollah et sa clé essentielle.
Deuxièmement, nous restons attachés aux constantes, notamment notre foi en la libération de la Palestine. Comment s’exprimer ? Combien être sur le terrain ? C’est ce que nous étudions constamment. Par tous les moyens, notamment par l’éducation, la culture, la politique, tout ce que nous pouvons faire, nous le ferons, ainsi que par le jihad que nous pouvons mener lorsqu’il le faut. C’est la ligne générale.
Troisièmement, nous sommes pour l’unité des musulmans. Nous n’avons pas de conflit sunnite-chiite. Nous avons une unité des musulmans dans le monde. Nos causes sont les mêmes, nos convictions sont les mêmes et nos ennemis sont un. Le problème vient de ceux qui essaient de jouer avec nous pour leurs intérêts. Nous sommes donc pour l’unité.
Quatrièmement, nous sommes pour l’unité nationale, c’est-à-dire construire le Liban, ses institutions, respecter sa Constitution, appliquer l’accord de Taëf et le compléter, car il reste des articles non appliqués. Nous voulons un Liban uni et fort, c’est-à-dire sur ses pieds, avec ses règles et sa Constitution. Les désaccords et les divergences d’opinion sont normaux.
Cinquièmement, nous sommes un groupe qui respecte et conserve ses alliances, qui place la fidélité et la loyauté en tête de sa ligne de conduite. Notre plus grand allié, c’est la République islamique d’Iran sous la direction de l’imam Khamenei. Cette relation avec l’Iran est une relation de fidélité, d’allégeance, de dignité et de puissance. C’est une ligne rouge pour nous, personne ne la remet en question. Que dire de la République islamique d’Iran ? Y a-t-il plus noble qu’elle dans le monde ? Y a-t-il plus noble que cette direction pour ce qu’elle fait pour les causes justes? Y a-t-il plus noble que ce Corps des Gardiens de la Révolution islamique, qui a fait des sacrifices énormes dans notre région pour nous ? J’ai toujours répété, et je le répète aujourd’hui : montrez-moi quelque chose que l’Iran a pris de nous. Tout ce que nous avons, nous l’avons reçu d’Iran, elle n’a rien pris en contrepartie et elle ne nous a jamais rien demandé. Nous sommes d’accord avec elle sur la vision et la politique, ce n’est pas elle qui nous l’impose.
J’adresse aussi un salut à «L’Axe de la Résistance». Nous devons garder des liens solides, notamment avec ce grand pilier que constitue le Yémen, avec ses héros qui se sont sacrifiés, qui se tiennent seuls face au monde, lequel regarde en spectateur la situation à Gaza et la famine qui tue là-bas. Ce sont des gens bénis. Je veux aussi saluer l’Irak, la référence, la mobilisation, le peuple. Ne sous-estimez pas combien ils nous aiment. Croyez à leur sollicitude, voyez leur aide et leurs dons. Nous garderons tout cela, nous le développerons et nous nouerons de nouvelles relations avec tous ceux qui voudront intervenir avec nous dans ces grandes politiques.
Ghassan Ben Jeddo : Et les arabes ? Vous avez participé à des conférences...
Cheikh Naïm Qassem : Les arabes savent que nous avons été les premiers à préserver la continuité de la présence arabe par notre participation avancée. Je les considère comme faisant partie de notre public général, comme l’une des forces politiques les plus puissantes, en faveur de la Palestine et de l’unité arabe et islamique. C’est bien que vous ayez attiré mon attention sur cela, nous les estimons et nous poursuivons le chemin avec eux.
Ghassan Ben Jeddo : J’aurais pu poser cette question au début, mais je l’ai laissée pour la fin, non pas pour susciter la tristesse ou le chagrin, Dieu nous en garde, mais pour toucher la sensibilité : que dites-vous à sayyed Hassan Nasrallah ?
Cheikh Naïm Qassem : «Le Seigneur des Martyrs», sayyed Hassan est un leader qui n’a pas son égal dans le monde, même dans l’Histoire. Il a fondé un projet parmi les plus dangereux et difficiles. Comment le Liban, avec son peuple et sa foi, a-t-il pu arriver à ce niveau de sacrifice face à l’ennemi israélien et face à d’autres ennemis ? C’est le fruit de sa direction, de son esprit, de son charisme, car il parle avec le cœur. Je sais qu’il croit dans tout ce qu’il dit, et il ne manifeste pas un amour qui ne vienne pas de son cœur. Quand il dit : «Ô peuple, je vous aime», il l’aime vraiment. Quand il dit que sa relation avec quelqu’un est bonne, elle l’est réellement. Il est sincère et authentique.
Ghassan Ben Jeddo : Et quand il vous a qualifié à la fin d’une élection de «frère bien-aimé», il savait ce qu’il disait !
Cheikh Naïm Qassem : Oui, il savait. Je vous dis une chose : Pendant toutes les années, il y avait des réunions bilatérales entre lui et moi. Il y a des questions qui ne se règlent qu’avec une discussion, de la préparation, l’élaboration de rapports, etc. Toutes les deux ou trois semaines, on se réunissait. Il est arrivé à plusieurs reprises, après que nous nous soyons habitués l’un à l’autre au bout d’un an ou deux, que pendant une réunion, je lui lance à l’improviste : «Sayyed, je veux vous dire que je vous aime». Il répondait : «Vous m’avez devancé, moi aussi je vous aime». Dans la religion, il est conseillé, si vous aimez quelqu’un -un enfant, un père, un frère, etc.- il faut l’exprimer et le lui dire. Cela renforce le lien et rassure l’autre. Moi, mon amour pour lui est très profond, même s’il est un leader. Qui a dit que l’amour doit respecter et dépendre des fonctions ou des statuts ? L’amour vient du cœur.
Ghassan Ben Jeddo : Que lui promettez-vous, là où il est, dans le paradis, pour continuer sur la même voie ?
Cheikh Naïm Qassem : Je lui dis : même si nous souffrons de son absence, nous continuerons. Bien sûr, nous souhaiterions qu’il soit parmi nous. Il portait un grand fardeau. Pour moi, surtout, il m’enlevait un grand poids. Je fais partie de ceux qui attendent et écoutent ce qu’il va dire, car il parle d’une manière qui apaise le cœur et renforce la volonté, etc. Je veux reprendre une phrase dite par une femme d’environ quarante ans à la télévision, quand on lui a demandé son avis sur ce drame majeur, la disparition du Sayed. Elle a répondu : «Pourquoi dites-vous cela ? N’a-t-il pas le droit de se reposer ? Il est maintenant un martyr avec la plus haute distinction divine». Moi, je lui dis : «Vous avez atteint ce que vous vouliez, en obtenant le grade de martyr». Nous avons lancé le slogan «Nous restons fidèles à l’engagement», vous pouvez donc être rassuré, nous continuons sur le même chemin. Il y a des dirigeants, des cadres, des combattants, des blessés, des prisonniers, des hommes et des femmes de tous âges qui porteront ce fardeau, et inchallah, ils parviendront à de grands résultats. Cette voie est longue, pleine de hauts et de bas, de grandes et de petites victoires.
Ghassan Ben Jeddo : Cheikh Naïm Qassem, secrétaire général du Hezbollah, merci pour votre temps, votre patience et votre courage dans ces réponses franches, claires et audacieuses. Merci encore.
Merci à tous ceux qui ont contribué à cette interview, notamment les frères Ali Al-Fadel et Najib Al-Baqir. Merci à vous, et à Dieu.
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