Les régimes issus des révolutions arabes et les liens avec l’Occident : entente tactique ou complicité ?

Akil Cheikh Hussein
S’il était possible pour le gouverneur d’agir de la sorte, c’est parce qu’il jouissait d’une puissance contraignante qu’il tirait de ses suivants et partisans qui le soutenaient dans la mesure où il renflouait leurs caisses, ou dans la mesure où ils le craignaient.
Plus récemment, il était toujours possible pour le gouverneur dans nos pays arabes et musulmans de gouverner en s’appuyant sur la puissance contraignante dont jouissait le camp américain. Mais cela n’est plus sûr à tous les coups car les Etats-Unis ne sont plus dans une situation qui leur permettrait de toujours imposer leur volonté sur le monde. Par ailleurs, les priorités des Etats-Unis ne coïncident pas obligatoirement, dans les conditions des évolutions actuelles à l’échelle planétaire, avec ceux des gouverneurs ou des aspirants au gouvernement.
C’est cela qui explique l’impuissance des Etats-Unis ou leur passivité quant à la protection de gouverneurs comme Hosni Moubarak et Zayn al-Al ‘Abidin ben Ali connus en tant que leurs clients inconditionnels. Il explique aussi le fait qu’après les avoir relâchés et abandonnés à leur sort, les Etats-Unis s’emploient à établir des «ententes» avec leurs successeurs. Des ententes dont ces successeurs pensent ou espèrent en profiter pour bien asseoir leur autorité et assurer à leurs sociétés la force nécessaire pour pouvoir avancer vers la réalisation de leur but déclaré qu’est l’établissement de l’Etat islamique.
De son côté, le camp américain voit la question de tout un autre œil : Il utilise l’entente comme un moyen d’assurer la pérennité de son hégémonie et de la renforcer de la manière la plus compatible avec ses intérêts.
Dans le cadre de cette équation, nous entendons chaque jour parler de la nécessité de donner à tel ou tel régime l’occasion ou le temps suffisant pour prouver son sérieux et sa capacité de conduire la barque vers le but affiché. Ce but ne peut être autre chose que le respect dû aux causes de la nation et l’action en vue d’assurer le minimum des moyens indispensables afin que la vie puisse continuer pour des peuples où une forte proportion d’individus vivent en-dessous du seuil de la pauvreté ou ne trouvent de logis en-dehors des cimetières.
Leur donner l’occasion et le temps est tout à fait logique. Mais il n’est pas logique du tout que l’attente soit l’unique fonction des masses surtout à un moment où les crises économiques et sociales ne font qu’empirer.
Il n’est pas logique non plus que les orientations des régimes issus des révolutions arabes en Egypte et en Tunisie soient restreintes, sur le plan de la défense des causes de la Nation, au fait de voir une augure favorable dans une trêve que l’entité sioniste viole tous les jours à Gaza.
Et que ces orientations soient restreintes sur le plan de la construction économique aux seules options sources de déception comme le fait de compter sur des maigres aides financières ou sur des prêts offerts par le Fond Monétaire International à des conditions qui garantissent la poursuite de la plongée de la barque vers les fonds.
Si l’on peut laisser de côté cette danse, pour des considérations tactiques, sur les cordes du rapprochement entre un libéralisme, un laïcisme et une démocratie voulues par l’Occident, et des slogans qu’on entend en Egypte et ailleurs du genre «le peuple veut l’application de la Loi de Dieu», comment alors peut-on souffrir l’écoute de ces longues explications sur le sérieux et l’authenticité d’un projet islamique rien que parce que légalité (shar’iyya) et loi (shari’a) sont dérivées d’une seule et même racine linguistique ?
Et comment peut-on nous attendre à des dénouements heureux, alors qu’un président de république se permet-il de se comporter de la façon qui a permis à beaucoup de monde de l’accuser d’agir comme un nouveau pharaon ou comme un empereur romain parmi ceux qui se voulaient s’imposer comme des divinités sur terre ?
Au moment où les démocraties s’avèrent être des dictatures masquées, il peut ne pas y avoir d’inconvénient à ce qu’un individu cherche à s’octroyer tous les pouvoirs. Mais il faut quand-même que les premières de ces décisions ne conduisent à cette grande division entre opposants et consentants. Il faut aussi qu’elles ne deviennent pas un cheval que montent ceux qui ont intérêt à entraîner l’Egypte vers une guerre civile plus catastrophique que toutes celles qui sévissent ou menacent de sévir dans la plupart des pays arabes et musulmans.
Des guerres civiles, il faut le rappeler, qui visent à faire imploser de l’intérieur les pays concernés, et en même temps à détourner l’attention de la véritable cause de la nation en Palestine et des causes sociales au niveau de chacun de ces pays.
Des guerres civiles, il faut le rappeler aussi, qui sont fomentées et attisées par ceux-là mêmes avec lesquels nouent des ententes ceux qui ont pris le pouvoir grâce aux révolutions arabes.
Source: moqawama.org
A l’époque où régnait dans les pays musulmans le mode de gouvernement «mordant» (mulk ‘Adûd) dont parlait la Tradition prophétique, il était possible pour le gouverneur assis sur son trône de donner au bourreau l’ordre de trancher le cou à celui-ci ou de crever les yeux à celui-là, sans jugement aucun.
Ou de donner à son trésorier, sans rendre des comptes à personne, l’ordre de prodiguer l’argent de son peuple à des poètes louangeurs, chanteurs, bouffons, concubines, ou de le dépenser rien que pour assouvir ses caprices.
A moins que ces ententes ne soient une expression polie, allégée, de la complicité et des liens suspects.
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