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L’insoutenable légèreté…des médias

L’insoutenable légèreté…des médias
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Souraya Hélou

Plus fort que le feuilleton cheikh al Assir et celui d’Abou Ibrahim, les chaînes de télévision locales ont diffusé tout au long de la semaine écoulée, un feuilleton inédit, celui de la famille Mokdad avec ses différents porte-paroles et ses multiples notables. De quoi tenir en haleine les spectateurs férus de séries syriennes ou turques. Sauf que là, il ne s’agit pas vraiment d’une fiction, mais de la téléréalité dans toute son horreur, dans la mesure où elle touche des êtres humains dans leur chair et dans leurs sentiments.

Il y a en effet quelque chose d’étrange dans la manière avec laquelle les chaînes de télévision locales ont traité les sujets de l’actualité depuis quelque temps. Une sorte de fascination pour le mal, avec en prime une course effrénée pour le scoop à n’importe quel prix. Ce fut d’abord un cheikh al Assir brusquement promu star de la télé, se complaisant à alimenter les news en faisant tantôt son marché, tantôt sa toilette et même son sport quotidien sous les projecteurs. Comme si l’action de ce cheikh se limitait au vaudeville et ne constituait pas une violation de la loi et une grave incitation confessionnelle. Comme si le cheikh n’était pas en train de paralyser la capitale du Sud en ce mois de Ramadan. Attirés par cette actualité d’un genre nouveau, menée d’une main de maître par un cheikh manipulateur et heureux de devenir un « people », les médias n’ont cessé de défiler sur lieu où cheikh al Assir effectuait son sit-in, se battant pour qui le présentera sous son jour le plus drôle, le plus étonnant, le plus sympathique ou pour qui lui arrachera les propos les plus violents ou les plus insultants.

Hélas pour cheikh al Assir, il a trouvé plus fort que lui, le fameux Abou Ibrahim, ancien vendeur de fruits et de légumes devenu héros de la « révolution syrienne ». Brusquement, tous les médias ont défilé chez Abou Ibrahim, en principe à la recherche des onze pèlerins libanais enlevés en Syrie, mais se transformant finalement en fans d’Abou Ibrahim qui ne se lassait pas de dire son amour pour les Libanais, son sens de l’hospitalité et… sa rancœur contre le Hezbollah. Une prise d’otages dans tout ce que cette action a de condamnable et d’inhumain est devenue une soL’insoutenable légèreté…des médiasrte de « secret story » made in Lebanon, comme si Abou Ibrahim avait ouvert une maison d’hôtes pour accueillir des pèlerins fatigués du voyage. Sans mettre en doute la bonne foi des médias qui ont couru chez Abou Ibrahim, d’abord pour faire leur métier et certainement pour aider à résoudre ce drame humain, mais aussi grisés par leur capacité à aller là où l’Etat avec tous ses moyens n’a pas pu se rendre, on ne peut que s’étonner leur couverture de cet événement. Il y a un moment où les médias doivent se rendre compte qu’ils sont le fruit d’une manipulation machiavélique et cesser de jouer le jeu et de servir de tribune à ceux qui les utilisent contre leur pays, son unité et celle de leur peuple. Aucun enlèvement dans le monde n’a été aussi couvert et de cette façon presque rocambolesque par les médias qui passaient en boucle le fameux Abou Ibrahim pérorant devant les caméras puis les pèlerins essayant désespérément d’être convaincants et d’être à la hauteur de ce qu’attendait d’eux leur « hôte ».

Mais les téléspectateurs libanais n’étaient pas encore au bout de leurs surprises. Le clou de ces feuilletons de l’été est arrivé avec la tribu Mokdad et un de ses porte-paroles qui a lancé en direct que les onze pèlerins étaient morts. Fière de son scoop, la journaliste a répété la nouvelle sans se rendre compte de l’effet qu’elle pouvait avoir sur les téléspectateurs et surtout sur les proches des pèlerins. Inconscience ? Amateurisme ou volonté de faire un scoop à tout prix ? Il y a peut-être un peu de tout cela, mais il est quand même malheureux de voir qu’au Liban, ceux quiL’insoutenable légèreté…des médias tiennent les rouages des médias placent le scoop en premier avant les considérations humaines et nationales. Quand on pense que les médias américains ont refusé pendant toute l’invasion de l’Irak de publier la moindre photo d’un soldat américain mort ou blessé pour ne pas influer sur le moral des troupes américaines, on comprend mieux la différence entre un média responsable et un autre qui ne l’est pas. Les autorités américaines n’ont même pas eu besoin d’insister auprès des médias pour leur demander de ne pas publier ce genre de clichés, ceux-ci étant convaincus de la nécessité de préserver les soldats. Mais au Liban si une remarque est faite aux médias, alors qu’ils sont consciemment ou non en train de jouer avec les sentiments des Libanais et d’attiser les divergences, ceux-ci crient immédiatement à l’atteinte aux libertés et à la répression. Mais la liberté est aussi responsabilité. Dans une situation aussi complexe et aussi délicate où la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres, c’est justement le sens des responsabilités qui fait le plus défaut, chez les médias mais aussi chez une grande partie de la classe politique. La guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier aux militaires disait Talleyrand. Il faut souhaiter que les Libanais ne soient pas amenés à dire un jour l’information est une affaire trop sérieuse pour la confier aux journalistes… Ce serait bien dommage pour le pays du cèdre qui reste un havre de liberté et de diversité.
  
Source: moqawama.org

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