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Deux grands perdants aux élections turques: Erdogan et les terroristes en Syrie

Deux grands perdants aux élections turques: Erdogan et les terroristes en Syrie
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Par Samer R. Zoughaib

La corruption, l'autoritarisme, la répression des libertés fondamentales, les difficultés économiques et le rôle destructeur de la Turquie dans la crise syrienne: autant de facteurs qui ont contribué à la chute du Parti Justice et Développement (AKP) aux élections législatives du 7 juin. Ce scrutin, qui aura d'importantes conséquences régionales, a fait deux grands perdants: le président Recep Tayyip Erdogan et les terroristes en Syrie.

Le Parti Justice et Développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan reste la première formationDeux grands perdants aux élections turques: Erdogan et les terroristes en Syrie politique de Turquie, mais il tombe de très haut. Il n'a obtenu que 40,7% des suffrages (soit 258 députés sur 550), contre 46% lors du précédent scrutin. Il a perdu quelque 3 millions de voix. La première conséquence de ces résultats est que l'AKP, qui dirigeait sans partage la Turquie depuis 13 ans, n'a plus la majorité absolue, qui lui permet de former seul le gouvernement. Il sera obligé de former un cabinet de coalition, ce qui signifie qu'il devra faire d'importantes concessions à son ou ses futurs partenaires. Plus grave encore, ce camouflet enterre les rêves d'Erdogan d'amender la Constitution afin d'instaurer en Turquie un régime présidentiel, qui lui aurait permis de concentrer entre ses mains tous les pouvoirs. Erdogan avait en effet tout misé sur ce scrutin, lui donnant des allures de référendum sur sa politique et sur sa personne.
Cette élection aura aussi d'importantes répercussions sur les événements dans la région en général et en Syrie en particulier. Depuis le début de la crise, en 2011, Ankara a joué un rôle destructeur, qui a conduit à l'exacerbation du conflit dans ce pays et abouti à une guerre civile, alimentée de l'extérieur.
Depuis le début, les autorités turques démentent systématiquement fournir de l'aide aux groupes extrémistes en Syrie. Mais les rapports des services de renseignements occidentaux et russes ont de tout temps assuré que la Turquie est le principal pays de transit pour des dizaines de milliers de terroristes, qui sont allés grossir les rangs de «Daech» et du «Front al-Nosra», la branche syrienne d'«Al-Qaïda». C'est aussi de Turquie que passe l'aide militaire, financière et logistique fournie aux extrémistes.
Le gouvernement d'Erdogan ment non seulement à la communauté internationale mais aussi à sa propre opinion publique. Et c'est sans doute l'une des raisons pour laquelle les électeurs ont voulu le sanctionner.

Des armes aux terroristes

En novembre dernier, un rapport établi par l'Equipe d'appui analytique et de surveillance des sanctions de l'Onu à l'attention des membres du Conseil de sécurité affirmait que la plupart des armes transférées clandestinement aux terroristes de «Daech» et au «Front al-Nosra» l'ont été via le territoire turc. «Les armes et munitions viennent de dépôts de matériel des années 1980 et 1990, ainsi que de stocks plus récents. La plupart des articles ont été soit pris aux forcesDeux grands perdants aux élections turques: Erdogan et les terroristes en Syrie armées irakiennes ou syriennes, soit été livrés clandestinement à «Daech» ou au «Front Al-Nosra», principalement par des filières transitant par la Turquie», indique le rapport.
Le démantèlement de l'une de ces filières par la justice et la police turques, en janvier 2014, avait laissé éclater l'un des plus graves scandales de l'ère Erdogan.
Début mai 2015, un tribunal turc avait, en effet, ordonné l'arrestation de quatre procureurs et d'un officier de l'armée dans une affaire de saisie de livraison d'armes à destination de la Syrie. Les quatre procureurs avaient d'abord été mutés puis suspendus après avoir ordonné la fouille de plusieurs camions et bus dans les provinces d'Adana et Hatay, frontalières de la Syrie, en janvier 2014, parce qu'ils les suspectaient de contrebande de munitions et armes à destination de la Syrie. Il est apparu ensuite que les camions saisis étaient en réalité des véhicules de l'Agence de renseignements nationale (MIT) livrant des armes aux extrémistes syriens.
Embarrassé, le gouvernement turc a imposé un silence médiatique, y compris sur Facebook et Twitter, interdisant la publication des documents concernant l'affaire de la saisie d'armes. Il a ensuite ordonné l'arrestation de dizaines de policiers et de magistrats.
Mais à la veille des élections, les journaux turcs ont publié des photos montrant les armes cachées dans les camions. Une vidéo mise en ligne a montré que sous des boites de médicaments soi-disant destinés à des réfugiés turkmènes en Syrie, il y avait des milliers d'obus, de roquettes et des dizaines de milliers de munitions pour des armes légères.
La photo et la vidéo ont constitué une preuve irréfutable des mensonges des autorités turques.
La Turquie a également joué, aux côtés de l'Arabie saoudite et du Qatar, un rôle de premier plan dans la création de l'«Armée de la conquête», constituée de plusieurs groupes extrémistes chapeautés par le «Front al-Nosra»; l'armée d'«Al-Qaïda», en quelque sorte. Les dépôts d'armements et les camps de réfugiés syriens en Turquie ont été mis à la disposition de ces terroristes, qui ont réussi, grâce à cette aide, à prendre une grande partie de la province d'Idleb.

Passivité face à «Daech»

Le gouvernement d'Erdogan a également fait preuve d'une passivité suspecte face à «Daech». D'abord, la Turquie a refusé de rejoindre la coalition internationale mise sur pied par les Américains pour soi-disant lutter contre cette organisation en Irak et en Syrie.
Mais ce n'est pas tout. Aucune friction n'a jamais eu lieu entre les combattants de «Daech» et l'armée turque, le long des centaines de kilomètres de frontières contrôlés par ce groupe en Syrie. Au contraire, lorsqu'un convoi turc de 40 véhicules a traversé la frontière pour exhumer la dépouille du fondateur de la dynastie ottomane, Osman 1er, il y a quelques mois, dans une zone sous la domination de «Daech», l'opération s'est déroulée sans le moindre incident.
Enfin, lors de la bataille de Kobané, la Turquie a tenté par divers moyens d'entraver l'action des combattants kurdes qui défendaient la ville, dans l'espoir qu'elle tombe aux mains de «Daech».
Tous ces agissements montrent qu'Erdogan estime que les groupes terroristes et extrémistes ainsi que la Confrérie des Frères musulmans sont les meilleurs outils pour l'aider à concrétiser son rêve de restaurer la grandeur d'une Turquie néo-ottomane. Même si ce projet passe par l'exacerbation des guerres dans les pays voisins et la propagation d'une pensée obscurantiste, qui prône la violence extrême et la persécution des minorités.
Après son échec aux élections, ce rêve s'éloigne davantage. Et il sera de plus en plus difficile pour la Turquie de poursuivre son soutien à ces groupes, surtout si un gouvernement de coalition est mis en place.
Dans une interview accordée à la chaine panarabe Al-Mayadeen, le premier adjoint du président du Parti républicain du peuple (CHP), Farouk Lokoglu, a assuré que si sa formation entrait dans un gouvernement de coalition, le transfert d'armes au profit des extrémistes en Syrie cesserait et «nous tendrons la main au régime syrien». L'opposant turc, dont le parti a obtenu 25% des suffrages aux élections, a déclaré que la Turquie devrait réviser sa politique en Syrie et en Irak. «Nous devons traiter d'une manière responsable avec les pays voisins», a-t-il dit.
Quels que soient les contours du prochain gouvernement en Turquie, il est clair que l'AKP n'aura plus les coudées franches pour poursuivre sa politique agressive de déstabilisation de la Syrie et de l'Irak.

Source : French.alahednews

 

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