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États-Unis: Trump renonce à limoger le président de la Fed avant la fin de son mandat

États-Unis: Trump renonce à limoger le président de la Fed avant la fin de son mandat
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Par AlAhed avec sites web

Nouveau revirement pour Donald Trump. Après avoir alarmé les marchés pendant plusieurs jours en multipliant les insultes et les menaces à l’encontre du patron de la Réserve fédérale, voilà que le président des États-Unis déclare qu’il n’a jamais eu l’intention de limoger Jerome Powell.

«La presse s’emballe. Non, je n’ai jamais eu l’intention de le limoger. Je voudrais qu’il soit un petit peu plus actif avec son idée de baisser les taux d’intérêt», a-t-il dit.

On devine que les plongeons de Wall Street et les conseils discrets du Secrétaire au Trésor, Scott Bessent, ardent défenseur du principe de l’indépendance de la Fed, ont fini par calmer Donald Trump.

La réaction initiale des investisseurs est positive, car l’isolement de la politique monétaire des pressions partisanes et électoralistes est un élément fondamental de la crédibilité du dollar et de la qualité du crédit de l’oncle Sam. Pour autant, le mal est fait. Donald Trump continue de faire explicitement et publiquement pression sur la Fed. Il démontre à nouveau son caractère instable et sa capacité à remettre en cause des éléments fondamentaux de la gouvernance américaine, sans se rendre compte des conséquences hautement toxiques de sa démarche.

«Immense loser»

Aux États-Unis, pays où l’endettement nourrit plus qu’ailleurs la consommation, et permet à beaucoup de vivre - pour un temps - au-dessus de leurs moyens, le niveau des taux d’intérêt est un sujet de conversation quotidienne. Paradoxalement, le cours du dollar n’intéresse guère les Américains, car ils voyagent peu à l’étranger. En revanche, au même titre que le prix de l’essence et des œufs, les Américains suivent de près les aléas des taux d’intérêt. Il en va du coût de leurs mensualités de location longue durée (leasing) pour remplacer leur camionnette pick-up par un modèle plus rutilant, de la durée de leurs vacances financées par avance sur carte de crédit et de leur changement de logement, dicté par les taux de prêts hypothécaires.

Alors que ses hausses de droits de douane vont relancer l’inflation et aggravent à court terme le risque de récession, Donald Trump a compris avant tout le monde, l’avantage politique qu’il pourrait retirer à forcer dès aujourd’hui Jerome Powell à endosser la responsabilité d’une chute prévisible de la consommation, d’une contraction probable de l’embauche et d’un recul de l’investissement. Bon sang, mais c’est bien sûr, l’homme qui décide des taux d’intérêts à court terme doit être vilipendé ! En le traitant «d’immense loser», en le surnommant «Monsieur Trop Tard», Donald Trump a voulu guider vers le patron de la Réserve fédérale, la colère du peuple MAGA contre la vie chère.

Le calcul électoraliste du président Trump était simple: refuser d’assimiler à des hausses de taxes les augmentations fortes de droits de douane qu’il impose, sans vote du Congrès, à des milliers de produits finis et intermédiaires importés. Il lui faut en revanche clamer que ces mesures, de plus en plus impopulaires, vont finir par relancer l’investissement industriel sur le sol américain. Toutefois, conscient que dans l’immédiat le pouvoir d’achat de millions de foyers va en souffrir, Donald Trump a désigné Jerome Powell comme coupable d’acharnement anti-inflationniste, car il refuse de baisser immédiatement le taux directeur de la banque centrale. «Même la Banque centrale européenne abaisse ses taux», constatait la semaine dernière le président américain, oubliant que la conjoncture et l’inflation sont bien différentes en Europe.

Une proie facile

Wall Street et l’immense majorité des économistes donnent raison à la prudence actuelle du patron de la Réserve fédérale. La rage du président pour désigner un bouc émissaire lui a fait prendre le risque d’aggraver l’effondrement de la bourse et l’envolée des taux de marché auxquels le Trésor américain doit emprunter pour combler son énorme déficit budgétaire. Ce qui comptait le plus pour Donald Trump était de désigner au peuple MAGA un coupable tout fait pour la récession imminente. «Son départ ne peut intervenir assez tôt» avait ainsi lâché le président sur son réseau social, Truth Social.

Jerome Powell, seizième président du Conseil des gouverneurs de la Fed, haut fonctionnaire modéré, pur produit de l’époque révolue où être républicain voulait dire «œuvrer pour le libre-échange», restera probablement un souffre-douleur pour l’impatient populiste qui occupe la Maison-Blanche. L’incident n’est certainement pas clos. La réconciliation avec l’homme dont le mandat expire l’an prochain n’est pas possible.

Face à l’offensive tous azimuts de Donald Trump pour peupler de loyaux serviteurs la direction de toutes les agences fédérales, même celles conçues par la loi pour être indépendantes du pouvoir exécutif, Jerome Powell est une proie facile. Dénué de charisme, le septuagénaire tranquille a très peu d’ego. C’est même de là que vient sa réussite, lui qui n’a, contrairement à la plupart de ses prédécesseurs, ni doctorat en économie, ni diplôme de finance.

Avocat à Wall Street

Natif de Washington, formé d’abord à Princeton en Sciences politiques, puis à l’Université de Georgetown comme avocat, Jerome Powell est connu pour sa civilité et sa courtoisie. Il a été élevé dans la même école privée catholique de Georgetown Prep, où sont passés d’autres figures conservatrices du quartier élégant et ombragé de Chevy Chase, au nord de Washington, comme les juristes Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, aujourd’hui à la Cour suprême. On le sait amateur de vélo et collectionneur de guitares, mais Jerome Powell fuit les médias.

Il a servi comme assistant, puis sous-secrétaire d’État au Trésor sous George Bush père. Il fait d’abord une carrière comme avocat à Wall Street, avant de passer huit années au Carlyle Group, puissant fonds d’investissement washingtonien. Marié, père de trois enfants, «Jay» Powell s’est aussi illustré dans un centre de recherche bipartite, autre rareté dans la capitale fédérale, le Bipartisan Policy Center. Barack Obama l’a fait entrer au conseil des gouverneurs de la Fed en 2012, pour achever le mandat d’un gouverneur sortant. Il y fut reconduit deux années plus tard et ce pour une durée de quatorze ans.

C’est Donald Trump lui-même qui le choisit pour devenir, en outre, président du Conseil de gouverneurs de la Fed, en 2018. Ce mandat court sur quatre ans et Joe Biden l’a renouvelé en 2022. Le chevauchement des deux mandats concomitants est important, car même si Donald Trump avait décidé de provoquer une crise constitutionnelle, et financière, en limogeant Jerome Powell de son poste de patron du conseil de la Fed, il n’aurait pu l’évincer du tour de table du comité monétaire. Ce dernier pourrait même immédiatement décider de le réélire comme président.

Sobre, voire ennuyeux

Après treize ans à la Fed, Jerome Powell, initialement mal à l’aise et très «scripté» devant les journalistes, a pris de l’assurance. Il a été lourdement critiqué pour avoir, comme beaucoup d’autres, sous-estimé la vigueur du retour de l’inflation après la crise du Covid. Depuis, sa gestion des taux d’intérêt est jugée de manière plus favorable. On lui reproche néanmoins d’être trop consensuel et de trop se laisser porter par les signaux parfois contradictoires donnés par la conjoncture. À trop insister pour être «data dependent», c’est-à-dire guidé par les statistiques, la Fed moderne prend effectivement le risque de prendre du retard sur les marchés qui anticipent beaucoup plus les tendances.

Son style est délibérément sobre, voire ennuyeux. Mais des traits d’humour et une forte répartie trahissent un esprit fin et une culture profonde. Voilà qui le place aux antipodes du populisme MAGA, mais l’a beaucoup servi pour se faire respecter, notamment au Congrès, de la part de leaders démocrates très partisans, dont il a su ménager les susceptibilités. Ce sont eux qui, aujourd’hui, osent défendre son indépendance, alors que les républicains ont souvent peur de monter au créneau face à la colère de leur président qui ne respecte rien de l’ordre washingtonien établi.

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