Gaza: Le missilier européen MBDA complice de crimes de guerre

Par AlAhed avec Disclose
Le principal constructeur européen de missiles fabrique des ailerons servant au guidage de bombes larguées sur des civils à Gaza, révèlent Disclose, The Guardian et Follow the Money. D’après cette enquête, ces munitions équipées de composants MBDA ont été utilisées par l’armée «israélienne» dans 24 bombardements. Plus d’une centaine d’enfants sont morts dans ces attaques.
Au milieu des flammes surgit la silhouette d’une enfant. Hanin al-Wadie, 5 ans, vient d’être victime d’un bombardement «israélien», à Gaza City, dans l’école où elle s’est réfugiée avec sa famille. Dans une vidéo prise le 26 mai 2025, on peut entendre des rescapées crier à la fillette de «sortir» d’une salle de classe en feu, ici même où sa sœur et ses parents viennent de perdre la vie. La petite Hanin, elle, s’en sort avec le visage et les bras brûlés aux 2e et 3e degrés. Sur les 36 personnes tuées dans cette attaque aérienne, dix-huit sont des enfants.
Dans les décombres de l’école Fahmi Al-Jarjawi, des experts militaires ont identifié une pièce de métal servant à équiper un missile utilisé par l’armée de l’air «israélienne»: le GBU-39, une bombe de 110 kilos produite par l’américain Boeing. Ce composant clé est facilement reconnaissable : il s’agit d’un aileron «Diamond Back wing », fabriqué par le missilier européen MBDA, dont le siège social est situé au Plessis-Robinson, en Île-de-France, révèlent Disclose et The Guardian, en partenariat avec le média néerlandais Follow the money. Selon Brian Castner, expert en armements chez Amnesty International, ces ailes sont une pièce indispensable au guidage du GBU 39, «une arme de haute précision qui ne peut rien faire sans elles».
Ce type de bombes a été largué par l’armée «israélienne» dans au moins 24 frappes, entre le 2 novembre 2023 et le 26 mai 2025. Elles ont causé la mort de plus de 500 personnes, d’après un décompte réalisé par Disclose et ses partenaires à l’aide de rapports de l’ONU, d’Amnesty International, de divers médias et les recherches de Trevor Ball, qui collabore avec l’Armement Research Services. Les cibles principales ? Des écoles, au nombre de 16, transformées en abri par les Gazaoui·es. Autrement dit, des bâtiments civils protégés par le droit international. Mais aussi les camps de déplacé·es de Nuseirat et Rafah, les 24 mai et 6 juin 2024, ainsi qu’une mosquée de Gaza City.
Selon l’enquête, plus d’une centaine d’enfants sont morts dans l’ensemble de ces attaques aériennes.
En dépit des appels du conseil des droits de l’Homme de l’ONU à cesser les ventes d’armes à «Israël» en raison du risque « plausible » de génocide, le groupe MBDA assume la fourniture de pièces détachées utilisées par l’armée «israélienne». En guise d’explications, Julien Watelet, le responsable de la communication du groupe européen indique que le marché, selon lui, s’inscrit «dans le respect de toutes les lois américaines». On pourrait même dire que la vente des missiles se poursuit avec la bénédiction de la Maison-Blanche : en février dernier, Donald Trump a approuvé la fourniture à «Israël» de plus de 2 000 missiles GBU-39. Un marché qui s’ajoute aux 2 600 unités livrées par Joe Biden depuis le 7 octobre 2023, selon les données recueillies par le centre de recherche SIPRI.
De fait, les ailerons Diamond Back wing ne sont pas fabriqués en Europe, mais dans l’État américain de l’Alabama, où le groupe européen possède une filiale baptisée MBDA Inc. Or, même si la production et la fixation des Diamond Back wing sur les GBU-39 se fait outre-Atlantique, c’est bel et bien en Europe que les profits sont engrangés. En l’occurrence, par MBDA UK, la filiale britannique de la multinationale.
D’après ses comptes de 2023, les plus récents disponibles en ligne, elle a réalisé 40 % du chiffre d’affaires du groupe sur un total de 4,4 milliards d’euros cette année-là. «MBDA tire profit des ventes d’armes à Israël» résume Sam Perlo-Freeman, coordinateur de recherche pour l’ONG britannique Campaign against arms trade (CAAT).
« Le génocide se poursuit, car il est lucratif»
Questionnée par Disclose sur les mesures que le groupe met en œuvre pour respecter «ses obligations en matière de droit international», pour reprendre les termes récemment adressés par le conseil de l’ONU «à tous les acteurs privés» sur place, MBDA déclare «être en conformité avec les lois nationales et internationales applicables au commerce des armes». Également sollicité, Airbus, détenteur de 37,5 % des parts de la société, n’a «rien à ajouter». Pas plus que le leader anglais de la défense BAE Systems, propriétaire, lui aussi, de 37,5 % des parts de la firme.
En dépit de ces déclarations, l’entité britannique pourrait être considérée comme un profiteur de guerre. Elle s’expose à une plainte similaire à celle visant un fonds d’investissements irlandais qui a investi dans des banques et agences de tourisme accusées de financer des colonies «israéliennes». Seule chose à faire pour cesser toute complicité dans des crimes de guerre, selon le chercheur de la CAAT, Sam Perlo-Freeman : que MBDA UK revende sa filiale américaine.
En France aussi, le groupe s’expose à des poursuites pour recel de crimes de guerre. Comme l’explique Cannelle Lavite, co-directrice du programme entreprises et droits humains à l’European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) : «S’il est démontré que la société MBDA récolte les revenus de la filiale américaine alors que son siège social est en région parisienne, cela veut dire qu’elle en profite. Or, ces revenus sont tirés de ce qui apparaît être un crime».
Dans ce cas, pourquoi la direction de MBDA fait-elle preuve d’une telle assurance ? Probablement parce que les États européens demeurent impuissants, par exemple, à décréter un embargo sur des armes fabriquées hors du Vieux continent. Ceci dit, plaide le chercheur Sam Perlo-Freeman, le «Royaume-Uni pourrait sanctionner les entreprises qui arment Israël et bannir les investissements anglais qui les alimentent en capitaux». Les massacres quotidiens — pas moins de 600 victimes entre les 10 et 17 juin — pourraient fournir de solides arguments à un tel désengagement. Mais l’Europe s’obstine à regarder ailleurs. À ce jour, les menaces de «sanctions ciblées» contre «Israël», brandies par le Royaume-Uni, la France et le Canada, en mai dernier, n’ont trouvé aucune suite.
«Le génocide se poursuit, car, pour beaucoup, il est lucratif», tranche Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés. Exaspérée par l’immobilisme des PDG comme des dirigeants politiques européens, la juriste italienne s’est donnée comme mission de pourchasser les «profiteurs» du génocide. Dans son dernier rapport, publié le 3 juillet, elle cible plusieurs dizaines de multinationales. Si MBDA n’est pas mentionné, c’est parce que, de son propre aveu, l’inventaire ne représente que « la pointe émergée de l’iceberg ».
Vue du ciel, Gaza paraît lunaire. Quelque 50 millions de tonnes gravats recouvrent ce territoire où 57 000 personnes, dont 15 600 enfants, ont été tuées depuis le début de l’offensive israélienne, selon l’Unicef. Pendant que les survivant·es risquent leur vie à chaque distribution de nourriture, MBDA et ses actionnaires continuent de s’enrichir. «La suite dépend de nous tous», exhorte Francesca Albanese. Charge aux «syndicats, aux avocats » et aux « gens ordinaires» de se mobiliser, dit-elle, pour faire pression sur les entreprises impliquées dans des crimes de guerre en Palestine. Par exemple, le missilier MBDA.