Sayyed Nasrallah: Nous voulons un gouvernement de partenariat national
Discours du secrétaire général du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah le 23 janvier 2011
Traduction: Soraya Hélou
Bismillah al Rahmane al Rahim…
Il fallait que je prononce ce discours direct en raison des développements politiques pour vous exposer ce que nous pensons de la situation et ce que nous croyons ainsi que notre vision de ce qui va arriver.
A ce sujet, j’ai deux titres : le premier concerne le TSL et l’acte d’accusation et le second porte sur les développements politiques et le gouvernement.
Concernant le premier sujet et comme j’en ai déjà parlé avec vous, lundi, Bellemare a remis son acte d’accusation dont le contenu est resté secret. Mais nous avions déjà dit que le timing de la remise de l’acte d’accusation s’inscrit dans le cadre de la politisation de ce qu’on appelle le TSL, puisqu’il est intervenu au moment où devaient se faire les consultations parlementaires pour la désignation d’un nouveau premier ministre. Toutefois, ces consultations ont été reportées jusqu’à demain, lundi.
On disait que le juge Fransen a besoin d’au moins six semaines et jusqu’à dix semaines pour lire attentivement l’acte d’accusation. Mais il semble qu’à la lumière des développements et des contacts entrepris au Liban, le processus se soit accéléré. Le fait de fixer au 7 février la date d’une audience publique pour discuter des procédures s’inscrit aussi dans le cadre de l’utilisation politique du TSL pour exercer des pressions sur nous et nos alliés.
L’élément nouveau aussi est ce que j’ai appris à travers les médias (je ne possède pas d’informations particulières sur ce sujet) et qui montre que le procureur Bellemare menace certains médias de poursuites pour avoir diffusé des pièces relatives à l’enquête. Il vise bien sûr la NTV. Mais ce qui est curieux c’est que cela fait des années que les médias du monde entier publient des fuites sur l’enquête et la dernière en date a eu lieu dans un média canadien (de la même nationalité que le procureur), mais M. Bellemare n’a pas jugé bon de réagir. En réalité, les fuites précédentes servaient le plan de mettre le Hezbollah et la Syrie en situation d’accusés. C’est pourquoi, il n’y a eu aucune réaction de la part du procureur car cela servait le projet politique.
L’élément nouveau réside donc dans le fait que le procureur Bellemare a considéré que les nouvelles fuites ou enregistrements diffusés mettent en doute la crédibilité de l’enquête. C’est cela la raison de la soudaine réaction du procureur et cela confirme une fois de plus le fait que ce tribunal dans son sillage général et même dans les détails vise une partie politique précise et ne cherche nullement la vérité et la justice.
En tout état de cause, je voudrais résumer notre position : nous attendons. Nous avons commencé à répondre à l’acte d’accusation dont nous connaissons à l’avance le contenu, même s’il n’a pas été officiellement divulgué. Nous avons ainsi fait chuter le gouvernement incapable de protéger le Liban, de contrer les effets de l’acte d’accusation et d’accomplir d’autres actions… J’en ai déjà parlé. Notre position définitive et détaillée au sujet de l’acte d’accusation sera exprimée au moment de sa publication à moins qu’il n’y ait de nouveaux développements.
Mais je voudrais conclure ce sujet en disant ceci : si vous voulez utiliser cette période en particulier, celle qui sépare la remise par le procureur Bellemare de l’acte et sa publication par le juge Fransen, pour faire pression sur nous au sujet de nos choix politiques, je vous le dis dès à présent : après la publication de l’acte d’accusation secret mais dont le contenu est connu nous n’accepterons pas que des choix politiques nous soient imposés. Ni avant ni après. Autrement dit, vous voulez le reporter, le publier, le modifier ou quoique ce soit d’autre, pour nous c’est une affaire terminée. Il n’est plus possible de négocier avec nous, de discuter ou de nous demander des concessions ou encore de chercher des issues. Cela vous concerne. Mais après la publication du contenu de l’acte d’accusation, nous tiendrons un autre langage.
Concernant les développements politiques, je voudrais préciser certains points :
Je voudrais d’abord remercier le leader de la Rencontre démocratique, Walid Joumblatt et ses compagnons au sein du PSP pour sa prise de position claire aux côtés de la Syrie et de la résistance. Surtout en cette période délicate, voire décisive pour le Liban vié ainsi que la région par des projets suspects. Nous rendons hommage à la position de M.Joumblatt et nous considérons qu’elle sera la base d’une nouvelle étape dans la relation entre nous basée sur la compréhension et sur la volonté de faire face aux défis à venir.
Deuxièmement : je voudrais rappeler que si l’opposition parvient à obtenir la nomination du candidat qu’elle appuie pour former un nouveau gouvernement, elle demandera un gouvernement de partenariat national, dans lequel toutes les parties seront représentées.
Nous n’appelons pas à la formation d’un gouvernement à coloration unique, ni à monopoliser le pouvoir ni à éliminer un camp politique. Au contraire, nous respectons à la représentation de toutes les parties. Nous avons eu un conflit sur l’identité de la personnalité qui doit former le gouvernement, mais cela ne signifie nullement que l’opposition songe à ignorer la représentativité de l’autre camp ou cherche à l’éliminer.
Le nouveau gouvernement devrait être un gouvernement de coopération, qui ne cherche pas à éliminer une partie et ne cherche pas à se comporter arbitrairement. C’est notre position et je peux la confirmer à travers mes contacts avec les autres dirigeants de l’opposition.
Je voudrais parler clairement : certains disent que si l’opposition parvient à nommer son candidat à la tête du gouvernement ( je voudrais ici signaler qu’il s’agira d’une personnalité sunnite de premier plan), ce sera une réduction des droits de la communauté sunnite, dans le cadre de la formation du gouvernement et de la structure de l’Etat. Je tiens à affirmer qu’il s’agit de mensonges. Tous au sein de l’opposition nous sommes convaincus de préserver les équilibres. Nous le prouverons dans les faits si notre candidat est désigné.
Troisièmement, nous avons entendu au cours des derniers jours sur les tribunes et à travers les médias des attaques sur lesquelles nul ne peut se taire contre l’ancien Premier ministre Omar Karamé. Hélas, certaines de ces attaques viennent de celui qui a tué et qui a été jugé et condamné par la justice libanaise le président martyr Rachid Karamé.
Je ne répèterai pas les accusations proférées car je refuse de prononcer de tels mots. Mais je voudrais répondre par ceci :
La maison de Omar Karamé et Omar Karamé lui-même sont une famille nationaliste et intègre. Nul ne peut trouver la moindre accusation de corruption à lui adresser depuis l’époque de Rachid Karamé jusqu’à celle de Omar. Cette famille est connue pour sa noblesse d’âme. Toute attaque contre elle est une attaque contre nous tous. De plus, toutes ces attaques ont été lancées en pensant que Omar Karamé pourrait être le candidat de l’opposition à la présidence du Conseil. C’est pourquoi je voudrais préciser que Omar Karamé n’a pas présenté sa candidature et n’a demandé à personne de le faire à sa place. Il n’a pas formé de machine électorale, ni entrepris des contacts avec des parties libanaises et non libanaises dans ce but. Vous savez que dans l’autre camp, les contacts ont lieu minute par minute avec les grandes capitales pour imposer un candidat déterminé.
Certes, au cours des derniers jours et dans le cadre des concertations entre les chefs de l’opposition pour choisir un candidat en mesure d’assumer les responsabilités de cette étape difficile, j’ai personnellement contacté le président Omar Karamé et je me suis réunis avec lui pour discuter de la situation et sonder ses intentions car nous avons besoin de sa coopération et de son appui dans cette période. Sa réponse était très claire : « Je vous remercie de votre confiance et celle de tous nos frères au sein de l’opposition. Mais vous savez que je me fais vieux et mon état de santé n’est pas satisfaisant. Or, cette période exige du dynamisme et des efforts. Je préfèrerais que vous choisissiez quelqu’un d’autre. Si vous n’aviez pas d’autre choix et que vous ne trouviez personne d’autre pour assumer cette fonction, je le ferai en dépit de mon âge et de mon état de santé, car il est de mon devoir de protéger la résistance. Mais je préfèrerais que vous trouviez quelqu’un d’autre ». Je lui alors dit qu’il reste le premier choix de l’opposition, mais que nous tiendrons compte de son point de vue et nous resterons en contact car nous avons besoin de son appui et de son conseil mais nous commencerons à chercher une autre personnalité. Omar Karamé est ensuite rentré chez lui et il n’a pas entrepris des contacts ni demandé des nouvelles ni posé la moindre question à ce sujet.
A tous ceux qui l’ont critiqué ces derniers jours je voudrais dire que Omar Karamé est d’une autre trempe, de celle qui mérite tout le respect et la considération musulmane et nationale. Le courage n’est pas de dire : je ne peux pas assumer cette fonction, mais bien de dire : si vous n’avez pas d’autre choix et si la résistance est menacée, il est de mon devoir de la défendre. Je suis prêt à assumer cette responsabilité en sachant combien la situation est grave. C’est cela le courage, la noblesse, l’engagement surtout pour un homme de cet âge.
Nous rendons hommage aux grands hommes surtout dans cette période et nous poursuivons nos contacts avec les chefs de l’opposition pour fixer notre choix, si nous obtenons la confirmation de la tenue des consultations parlementaires demain.
Quatrièmement : je voudrais revenir sur les propos du président Saad Hariri sur son assassinat politique, tout en parlant des institutions constitutionnelles et de sa volonté de respecter le jeu démocratique.
D’abord, au Liban, de nombreuses personnalités politiques se sont relayées à la présidence du gouvernement, certaines sont restées des moins, d’autres des années et à chaque fois, une personnalité sunnite remplaçait l’autre. Nous avons ainsi plusieurs anciens présidents du gouvernement et je n’ai jamais entendu dire que le départ de l’un signifiait son assassinat politique, surtout que l’opération se déroulait selon les règles démocratiques. Ensuite, il a été question de respect des règles constitutionnelles et du jeu démocratique. Or, selon ces règles et ce jeu, nul ne peut imposer un candidat à tous les blocs parlementaires. Dire donc que le fait de ne pas nommer tel candidat signifie l’assassiner politiquement est un langage nouveau introduit dans la vie politique libanaise. Un bloc parlementaire a le droit de refuser tel candidat en dépit de sa réprésentativité au sein de sa communauté. Car la présidence du Conseil n’est pas un poste de représentation. C’est un poste de responsabilité, qui exige des qualités spécifiques et de l’efficacité, car le président du Conseil est le chef de l’exécutif. Les blocs parlementaires peuvent donc évaluer librement l’action de telle personnalité et faire son choix en conséquence. Il ne s’agit nullement d’un assassinat politique ou une mise en cause de sa représentativité.
En tout état de cause, je considère que le fait de dire que rejeter la candidature de Saad Hariri équivaut à son assassinat politique est une manière d’exercer des pressions sur l’opposition. De plus, on parle de l’assassinat politique d’une personne, alors qu’il s’agit d’un assassinat lent, avec la complicité internationale et régionale d’un mouvement de résistance, l’un des plus nobles qui a donné ses meilleurs martyrs dans la lutte contre l’occupation israélienne. Cette résistance, avec l’armée et le peuple protège aujourd’hui le Liban, et non le Conseil de sécurité, ni les Etats-Unis, ni l’Occident. Cette équation a établi un équilibre de la dissuasion avec Israël. Pourtant, ne cherche-t-on pas à assassiner politiquement cette résistance aujourd’hui, pour le compte d’Israël ? Certains auraient pu empêcher cet assassinat, mais ils ne l’ont pas fait. Au contraire, ils cherchaient à accélérer le processus. Mais avec l’aide de Dieu et parce que cette résistance englobe des gens nobles et courageux, ils ne parviendront pas à l’assassiner.
Nous ne sommes pas, en tout cas, sur le point d’assassiner politiquement ou d’éliminer qui que ce soit. Il y a des consultations et des institutions constitutionnelles. Nous les avons respectées et nous avons utilisé notre droit dans la démission des ministres. Nous devrions maintenant nous entraider pour surmonter cette période délicate que l’ennemi israélien appelle de tous ses vœux, dont il parle régulièrement et sur laquelle il mise depuis un ou deux ans.
Le dernier point que je voudrais évoquer est l’attitude régionale et internationale. Nous avons entendu plusieurs déclarations d’appui à la légalité libanaise, aux institutions et à la volonté de la majorité des Libanais. Très bien. Mais nous allons voir, et nous commençons à le faire, quelle sera cette attitude si le résultat des concertations donne une nouvelle majorité. A ce stade, je voudrais exprimer mon désaccord avec certaines déclarations de mes frères au sein de l’opposition qui parlent comme si les jeux étaient déjà faits. Nous avons mené ces derniers jours un effort politique constant, jour et nuit, pour obtenir des résultats positifs, mais nul ne peut dire que nous y sommes déjà arrivés. D’autant que de nombreuses capitales déploient aussi des efforts intensifs pour appuyer un candidat déterminé.
Mais si les consultations aboutissent à la production d’une nouvelle majorité -même pas très large- qui mènera à la présidence du Conseil un candidat autre que Saad Hariri, que diront ceux qui ont exprimé leur appui à la légalité et à la volonté de la majorité ?
Je vous le dis dès maintenant, ils tiendront un autre langage. Ils parleront des menaces qui pèsent sur le Liban, la menace israélienne notamment et comme ils l’ont fait, évoqueront le danger de partition du Liban. Mais de quoi parle-t-on là ? Qui veut partager le Liban ? Nous avons commencé à entendre un nouveau langage, à partir d’Israël, et d’autres pays suivront. On parlera du projet perse, du projet iranien ou chiite, du gouvernement qui sera mené par le Hezbollah. On tiendra un langage confessionnel encore plus extrémiste et adieu aux anciennes déclarations d’appui à la légalité et aux règles constitutionnelles.
Je vous le dis, tous ces propos et toutes ces accusations sont de la pure fraude, de la diffamation et du détournement. Or, toute la bataille menée contre nous est basée sur les inventions, les déformations et le mensonge, depuis la résistance jusqu’au TL et à la lutte politique actuelle. Depuis le début et jusqu’à aujourd’hui, nous tenons quant à nous le même langage : nous ne voulons pas prendre le pouvoir, nous ne voulons pas de positions, nous avons une priorité, la résistance et le souci de la situation nationale dans le pays.
En tout état de cause, je ne cherche pas à défendre ni à préciser pour l’instant. Je dis simplement, si l’opposition parvient à faire désigner son candidat, je souhaite que le monde appuie les institutions constitutionnelles, la légalité et la majorité libanaises. Je souhaite que le Premier ministre désigné bénéficie d’une chance réelle pour former un gouvernement. A ce moment-là, à travers sa composition et son action, vous pourrez juger s’il s’agit d’un gouvernement national qui veille aux intérêts nationaux du pays ou non.
Les jours qui suivent et les actions concrètes nous départageront, si réellement vous avez à cœur l’intérêt du Liban. S’il y a un préjugé en faveur d’une personne et si le sort du Liban est lié à cette personne, en d’autres termes, si Saad Hariri n’est pas désigné, c’en sera fini du Liban et des musulmans, ce serait une catastrophe. Si un petit pays atteint le stade où son sort, son avenir, ses institutions dépendent de la venue d’une personne à la tête du gouvernement, c’est une catastrophe nationale, mais c’est aussi du mépris envers la patrie et le peuple libanais. C’est un mépris total pour nous tous que de dire que le sort du Liban dépend de telle personne indépendamment de ses capacités sur l’évaluation desquelles nous divergeons.
Voilà le résumé de la situation. J’ai parlé rapidement pour ne pas prendre plus de temps. A ma connaissance, le rendez-vous des consultations parlementaires est maintenu. Ce soir, nous devrons fixer notre choix sur un candidat que nous appuierons et j’espère que les choses iront dans le bon sens. Je demande à Dieu Tout puissant d’aider le peuple libanais et ses dirigeants politiques à faire les bons choix dans l’intérêt de leur pays et de son avenir et de prendre des décisions à la hauteur de la gravité des dangers qui menacent la patrie
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