La crise appelée à se prolonger...(presse)

Par Scarlett HADDAD
La petite phrase attribuée au président syrien Bachar el-Assad et rapportée par l'ancien détenu en Israël Samir Kantar, après son entretien avec lui, a suscité un véritable malaise dans les milieux politiques du 14 Mars. En comparant la neutralisation des effets de l'acte d'accusation à l'abrogation de l'accord du 17 Mai (conclu avec Israël en 1983 à la suite de négociations tantôt en Israël et tantôt à Khaldé au Liban), Assad a adopté clairement la vision de l'opposition qui considère l'acte d'accusation comme un nouvel épisode de la guerre israélo-américaine contre la résistance. En 1983, et dans la foulée de l'invasion israélienne du Liban, des négociations ont été entamées sous l'égide des États-Unis pour pousser le Liban à signer un accord de paix avec Israël. Il n'y avait pas alors de Hezbollah, mais les prémices d'une résistance populaire, à la fois progressiste et islamiste, avaient commencé à apparaître, alors que l'opposition de l'époque, c'est-à-dire Amal, le PSP et leur alliés (appuyés par Damas), avait réussi à faire pression sur le pouvoir libanais pour le pousser à renoncer à l'accord conclu, en dépit de son adoption par le Parlement libanais. De plus, en remettant au goût du jour ces événements sanglants de l'histoire du Liban, les propos du président syrien peuvent être interprétés comme une sonnette d'alarme adressée aux Libanais pour leur rappeler que si un accord n'est pas trouvé, l'opposition pourra être contrainte de recourir à la force pour déjouer « le complot israélo-américain ». Certaines personnalités du 14 Mars ont tenté de minimiser l'impact de ces propos, en affirmant que le président syrien ne les a pas prononcés directement. Ils ont été simplement rapportés par Samir Kantar qui, lui, a passé une grande partie de sa vie dans les prisons israéliennes et, par conséquent, il voit tous les événements de la région à travers le prisme du conflit israélo-arabe.
Quelle que soit l'importance que l'on accorde à cette petite phrase, elle n'a pas été démentie par les autorités syriennes. Ce qui permet de croire qu'elle a effectivement été prononcée et qu'elle explique une fois de plus la véritable position de la Syrie à l'égard de l'acte d'accusation, qui ne laisse aucune place aux doutes ou au flou entretenu par le 14 Mars sur une possibilité pour la Syrie de lâcher du lest, voire d'accueillir favorablement une accusation probable de certains membres du Hezbollah.
À sa manière, et par la bouche de Samir Kantar, Assad a donc réaffirmé ce qu'il avait déjà déclaré au Premier ministre Saad Hariri au cours du fameux « souhour » ramadanien qui les avait réunis à Damas, à savoir que la résistance est une ligne rouge pour la Syrie et qu'il faut donc la protéger à tout prix. C'est d'ailleurs à la condition que le roi d'Arabie saoudite réclame un report de l'acte d'accusation que le président syrien avait accepté de l'accompagner à Beyrouth pour le fameux sommet du 30 juillet 2010, qui a permis aux Libanais de vivre plusieurs mois sans problèmes majeurs, mais à l'ombre d'une crise politique prolongée. Le roi Abdallah a tenu parole et il a obtenu, grâce à ses contacts internationaux, mais aussi grâce aux efforts conjugués de nombreuses capitales concernées par la situation au Liban un premier report de la remise de l'acte d'accusation par le procureur Bellemare au juge de la mise en état Daniel Fransen.
Le report était en principe destiné, aux yeux des Syriens, à permettre aux contacts avec l'Arabie saoudite de porter leurs fruits et d'aboutir à un accord libanais rejetant toute accusation portée contre le Hezbollah ou certains de ses membres. Par pragmatisme, l'idée d'en finir avec le TSL a été abandonnée et il s'agissait plutôt de verrouiller la situation libanaise interne et de neutraliser ainsi les effets potentiels de l'acte d'accusation. Mais en dépit des rumeurs sur leur aboutissement imminent, ces contacts se sont bel et bien ralentis. Officiellement, la raison avancée pour ce ralentissement est la santé du roi, mais dans les coulisses diplomatiques, on évoque plutôt un veto américain. Les Américains souhaiteraient, selon cette théorie, devenir partie prenante aux négociations en cours et ne seraient pas favorables à la neutralisation, sans contrepartie importante, de la carte que constitue l'acte d'accusation du TSL.
Ce qui est en tout cas sûr, c'est que le mois de janvier comporte des rendez-vous importants : un sommet franco-américain, d'abord, qui risque d'évoquer le dossier libanais mais certainement les relations de ces deux pays avec la Syrie. On sait à ce sujet que l'ouverture vers Damas a constitué un des piliers de la politique étrangère française dans la région. Et maintenant, c'est l'administration du président Obama qui prend le même chemin, avec l'envoi imminent d'un ambassadeur à Damas. À ce sujet, les Syriens rejettent avec amusement les allégations selon lesquelles cet envoi serait destiné à permettre aux Américains d'adresser des messages fermes aux autorités syriennes et déclarent : « Dans ce cas, pourquoi l'ambassadeur a-t-il été rappelé ? N'était-il pas nécessaire d'adresser des messages fermes à la Syrie au cours des cinq dernières années ? »... Bref, pour la Syrie, l'arrivée de l'ambassadeur est un signal positif et permet de nouer un dialogue plus direct et plus régulier avec l'administration américaine. Autre rendez-vous important : la reprise du dialogue entre les puissances occidentales et l'Iran le 21 janvier en Turquie, qui, sans résoudre les problèmes en suspens, peut donner une idée précise de la tendance à venir.
À un niveau plus local, le juge de la mise en état devrait fixer au cours de ce mois la date pour une audience publique entre l'ancien directeur de la Sûreté générale Jamil Sayyed et le procureur Bellemare, avant de se prononcer sur le litige qui les oppose au sujet des documents réclamés par Sayyed. En principe, la date avancée est celle du 25 janvier. D'ici là, il n'y aurait donc rien à attendre, ni sur le plan de l'acte d'accusation ni sur celui des contacts syro-saoudiens puisque, de toute façon, le roi Abdallah est encore en période de convalescence. Selon certaines informations, il devrait même se rendre au Maroc pour se reposer et ne rentrerait pas à Riyad de sitôt.
La crise serait donc appelée à se prolonger, et le pire, c'est que les Libanais s'y habituent.
Source: L'orient le Jour